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Critique de gruz


gruz
24 décembre 2021
Des extraterrestres se servant des hommes comme de montures pour tous leurs déplacements. A cette seule évocation, je vous vois déjà matérialiser cette image dans votre esprit. Vous fait-elle sourire par son grotesque ? Vous fait-elle lever les yeux au ciel de dédain ? Lisez donc ce roman d'une étonnante richesse intérieure, et je prends le pari que votre réaction deviendra tout autre.

C'est le premier roman de cette autrice américaine qui est traduit en français. Il date de 2002. Gageons que le jeune éditeur Argyll saura nous trouver d'autres de ses pépites.

Les Hoots ont atterri par accident sur notre planète, voilà bien des années. Incapables de se déplacer par eux-mêmes, ils ont assujetti l'homme pour le placer au rang d'animal domestiqué.

Et s'en servir comme de chevaux. Les traitant comme tels, les utilisant pour se mouvoir mais aussi pour parader et (pour certains) réaliser des courses. L'homme découvre ce qu'est d'avoir un mors dans la bouche…

Le roman est écrit au présent et à travers les mots des protagonistes, principalement un jeune garçon de 11 ans, enrôlé depuis son plus jeune âge dans le rôle de (futur) crack. Il se sent dans son élément à l'intérieur de sa stalle, avec sa parure, et d'être ainsi traité comme un homme de la plus pure des races. Pour preuve, il est chevauché par le futur Grand Maître.

L'attaque d'hommes « sauvages » va chambouler son monde. Et lui faire voir et ressentir autrement. Mais on ne change pas si facilement un conditionnement.

Cette manière de raconter fait qu'on entre directement dans la tête de ces hommes du futur, de ce garçon qui va perdre ses repères. Elle est surtout menée avec une finesse et une intelligence qui donnent une vraie profondeur à l'histoire. Et matière à réfléchir.

On pourrait craindre que l'écrivaine force le trait, c'est tout le contraire. L'ambivalence des sentiments et ressentis de Charley entre en résonance avec le lecteur. L'empathie se crée vite envers lui. Mais plus étonnant envers le Petit-Maître Hoot tout autant.

Avez-vous déjà tenté de vous mettre à la place d'un cheval ? Ce qu'il pouvait ressentir ? Pas besoin de tomber dans l'anthropomorphisme, imaginez maintenant un humain à la place, en tenant compte de l'instinct grégaire du primate.

Loin d'être un roman à réserver aux seuls amateurs de SF, en à peine 210 pages Carol Emshwiller réussit le tour de force de nous faire croire à l'incroyable. Mais aussi, surtout, de braquer de nombreux projecteurs allégoriques sur des sujets actuels encore brûlants.

Dans un roman aussi court, l'autrice développe de quoi questionner et méditer sur autant de thèmes que le respect des autres et des espèces, le racisme, l'oppression y compris des sexes. Mais aussi permet de faire un retour salvateur sur ce que fut l'esclavage et ce qu'il en reste, avec toutes les « raisons » d'y avoir eu recours. Ou encore d'injustices, de la figure du père, de la manière dont on inculque certaines valeurs à la naissance.

A cette énumération, on comprend vite combien le roman est riche. Et comme il est raconté à hauteur d'homme (ou de Hoot), avec le peu de fiabilité des regards portés, on lit au plus près des émotions. Une palette large, de la colère à la tristesse, de l'amour à l'incompréhension.

D'autant plus que les Hoots se voient (ou se font passer) comme des gentils, qui aiment leurs montures. de l'art de parler de systèmes écrasants et de la difficulté de se détacher de son tortionnaire.

Mais la fin, subtile, questionnera aussi les notions de tolérance, de respect et de compréhension. Empathie encore et toujours.

Carol Emshwiller a un immense talent pour faire accepter le postulat de base qui paraît pourtant improbable, en interrogeant sur nombre de sujets forts.

La monture est à la fois un superbe récit humain et une métaphore de la domination et de la responsabilité. Qui questionne notre relation aux autres, autant qu'à l'animal. Quand l'art de pousser la fiction dans ses retranchements nous permet de mieux cerner la réalité.
Lien : https://gruznamur.com/2021/1..
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