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Critique de Erveine


Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple est un livre utile, voire indispensable mais j'y reviendrai d'ici quelques traits, quelques lignes et certainement en conclusion.
Didier Eribon accomplit ici une tâche difficile car c'est toujours difficile de parler de soi et soi-même de parler de ses propres parents. Ce qui me touche dans cette démarche c'est de cerner pourquoi il l'a fait, et je me persuade que pour lui cette démarche était nécessaire et qu'en conséquence elle ne pouvait pas lui échapper. Ce qui me ravie dans ce projet c'est qu'il l'a réalisé moins pour lui que pour « Nous », établissant ce concept du « Nous » celui que nous devrions construire ensemble et pourquoi. Comme, De Beauvoir, la belle Simone qui nous a légué son indispensable essai en 1949, le Deuxième Sexe, elle a pourtant échoué en quelque sorte à nous parler de la Vieillesse, un livre de 700 pages, en restant cantonnée plutôt sur une analyse politico/économique, quand on sait que la vieillesse n'est plus entendue comme une force de production, cette analyse ne pouvait pas prospérer alors vers une construction organisationnelle de la défense du « Nous » ; une sorte de structure syndicale de la vieillesse. Laquelle voix audible devant être celle des seuls concernés, soit des vieillards et pour pallier à une foule vieillissante ostracisée dans nos sociétés modernes.
En effet, la vieillesse reste peu appréhendée en littérature puisqu'elle n'est perçue intelligemment que par un/des penseurs entrés en âge dans cette réalité. C'est alors que fragilisés et contraints ils franchissent cette nouvelle étape de vie pour sauter dans l'inconnu dont on ne sait rien ou si peu de choses. C'est par une étude d'archéologie de notre culture et une enquête ethnologique que nous pourrions étudier les strates successives de cet acheminement ; une étude qui pourrait nous amener à réinterroger nos institutions afin qu'elles ne soient pas/plus ces espaces d'isolements où végète désormais, une grande partie de notre population.
Mais attention, ce livre est vivant et même parfois drôle, en tout cas moi j'ai ri ; parce que c'était vrai, parce c'était bien comme ça que ça se passait. En relatant ces épreuves de la vie, l'honnêteté de Didier Eribon donne une certaine dynamique aux éléments. Il est question ici de sa mère. Elle a des absences, au début c'était ou paraissait peu alarmant puis le phénomène s'accentuant, il fallait s'interroger sur la possibilité d'un placement. Mais, chez les uns, la principale intéressée refusait d'y aller et, en maison de retraite : il serait toujours bien temps d'y penser. Oui, mais… Voilà le dilemme tel qu'il se posa pour cette famille et celui qui se pose de plus en plus inévitablement aussi, chez les autres. Suite à son placement, finalement dans un EHPAD près de son domicile, à Reims mais suffisamment loin de sa réalité et de son imaginaire, la dame placée s'évapora. Quand le docteur confie à Didier Eribon la possibilité d'une dégradation rapide de l'état de santé de sa mère, bien que surpris, le fils connaissant sa mère, sa force, sa résistance, la combativité qui a été la sienne tout au long de sa vie. Cette femme de l'assistance publique qui a été placée comme bonne puis qui a vécu le mariage comme une émancipation. Qui a accompli son rôle d'épouse, de mère, et qui a travaillé toute sa vie comme ouvrière dans une usine sans jamais recevoir aucune reconnaissance. Qui a connu une véritable histoire d'amour durant son veuvage, mais bien trop tardivement pour enfin jouir d'une liberté enfin acquise. C'est donc suite à cette rupture vécue comme un dépaysement certes, puis la relégation à l'état de pensionnaire, assujettie aux horaires, à la promiscuité obligée etc… Comment si rapidement, quinze jours à peine, un tel renoncement. Plus envie ; plus envie de manger, plus envie de parler, plus envie de faire, plus envie de marcher, plus envie de vivre tout simplement. Un suicide réfléchi ou un état naturel de dégradation par le renoncement. Je pense que Didier Eribon a vécu là une grande culpabilité due au placement de sa mère, sa mère que finalement il ne reverra pas/plus comme pourtant ils en étaient convenus et que ce sentiment ressenti est le même pour la plupart des familles dans une telle circonstance bien qu'il soit parfaitement injuste ou peu justifié. Pourtant, cette mère pouvait être parfois assez cassante quand elle nourrissait ce sentiment contradictoire quant à la réussite de son fils, entre fierté et jalousie. Et, c'est pourtant bien chez ce fils en particulier qu'elle trouva une oreille attentive et clémente plutôt qu'avec ses trois autres frères.
C'est pourquoi il faudrait repenser la section finale de la vie des seniors afin de les maintenir à un degré acceptable de dignité en fonction de ce qu'ils sont encore et de ce qu'ils ont été. Je me rappelle en ce qui me concerne et pour parler d'une expérience, que mon grand-père et les quelques personnages âgés que j'ai côtoyés étant petite ont été pour moi des personnages importants et structurants.


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