On est comme dans une suite à distance de
Les exilés. le narrateur, allemand déchu de nationalité, qui a connu des années de fuite, de cachettes, de camps d'internement, arrive en Amérique avec le passeport d'un ami juif (quelle ironie !) décédé.
Il intègre une petite communauté d'immigrés divers, qui se soutiennent, s'assistent, se trahissent parfois. Chacun traîne ses propres blessures et errances. Chacun survit. Ils boivent tant et plus, et déambulent; ils parlent, parlent, parlent…
Car si objectivement la vie est maintenant protégée, l'oubli reste impossible, les fantômes des souvenirs sont là, les cauchemars harcèlent, et le quotidien, ce pis-aller, cet absurde enracinement petit-bourgeois, n'a guère de sens.
Seule l'amitié, l'amour et l'art offrent dans cette d'errance, quelques fugaces éclairs salvateurs.
le roman reste inachevé au lendemain de la victoire en France, et l'on n'en est même pas frustré: cet inachèvement-même est une parfaite image d'un avenir qui veut s'ouvrir, mais reste totalement fermé : rester ? rentrer? se venger ? se ranger???…
Il y a quelque chose de poignant dans cet ample récit de l'exil, cette mélancolie élégante qui masque - mal - le désespoir, ces dialogues élaborés, cette noblesse souffrante, ces espoirs définitivement muselés. S'ils habitent enfin quelque part , ces héros du siècle n'en finissent pas de chercher une douceur perdue. C'est très beau, cela ressemble à un vieux film en noir et blanc, avec des lumières travaillées, des intérieurs feutrés ou misérables, des acteurs aux gueules pas possibles. J'aime beaucoup Remarque, dont la gravité désespérée, dans une réelle intelligence du coeur, se mêle souvent d'ironie et d'humour.