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EAN : 9782234081789
486 pages
Stock (11/01/2017)
3.8/5   33 notes
Résumé :
« J’ai vu la ville pendant trois semaines devant moi, mais c’était comme si elle avait été située sur une planète inconnue. J’étais dans l’île d’Ellis Island, c’était l’été 1944, et sous mes yeux j’avais New York. »

Ludwig Sommer, jeune Allemand pourchassé par les nazis, a enfin rejoint les États-Unis. Son permis de séjour en poche, il part à la découverte de cette terre promise dont les richesses semblent inépuisables. Mais les souvenirs et blessures... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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« A l‘Ouest, rien de nouveau » a tellement marqué les esprits au point d'être l'un des livres les plus lus au monde, qu'Erich Maria Remarque est resté lié à cet opus au détriment des autres. Hollywood lui a fait les yeux aussi doux que ceux de ses nombreuses conquêtes féminines. Littérature et cinéma ont fait son succès. Et pourtant...

Cette Terre promise est son dernier roman, le douzième, inachevé parce que l'auteur est mort avant la fin (1970) et, malgré cela, terriblement attachant parce que chaque lecteur peut inventer l'avenir.

Le personnage principal, Allemand recherché par la Gestapo, déchu de sa nationalité et de son identité, est en fuite en cet été 1944, après avoir connu la détention arbitraire dans son pays, puis en France et en Suisse. Reste l'Amérique, cette terre promise dont rêvent les émigrés. Il possède le passeport d'un de ses amis mort, Ludwig Sommer, qui lui a transmis son savoir d'antiquaire et lui lègue par inadvertance son statut de juif.

La salle d'attente d'Ellis Island est l'antichambre de la liberté ou celle du renvoi dans le pays d'origine. Ludwig Sommer a la chance d'avoir un bienfaiteur qui lui ouvre le sas vers New York. Commence alors une autre quête, celle d'un logement, de la connaissance de l'anglais et, surtout, de la prolongation du visa sans quoi pas d'accès à un travail.

New York. Pas d'hommes en armes, pas de traque, pas de ruines ni de hurlements, pas de méfiance inopportune. le corps se redresse, les sens ne sont plus sans arrêt aux aguets, la faim peut être assouvie, même si la peur reste à jamais inscrite dans les tripes. Retrouvailles d'amis exilés, rencontres d'autres, tous meurtris, une petite Europe se rassemble pour les mêmes raisons, animée par la camaraderie et la générosité. Tous ont des ressentiments cachés, des souvenirs pénibles qu'ils n'échangent pas. « C'était encore une habitude d'avant : ce qu'on ne savait pas, on ne pouvait pas le trahir – et personne n'était sûr de résister aux tortures modernes ».

Une cohorte de personnages falots ou hauts en couleur, courageux ou faibles, idéalistes ou roublards, se côtoient à l'hôtel Rausch où les petits trafics, les alcools frelatés et les somnifères (ah ! ces nuits où les fantômes reviennent !) tiennent une place importante. Pas de jugement, pas de moquerie, chacun tente de se reconstituer une vie. Impossible d'oublier les frères Silver, avocats devenus brocanteurs, la vieille Contessa russe qui vend ses bijoux pour payer l'hôtel, Hirsch l'ami au culot démesuré qui, en France, trompa policiers et soldats SS, Jessie Stein, fortunée qui organise des buffets copieux pour nourrir les « étrangers », Reginald Black, marchand d''art sur la Cinquième Avenue, qui s'enrichit grâce aux connaissances picturales de Ludwig Sommer, et la lumineuse Maria Fiola, mannequin-photo, qui esquisse l'espoir de l'amour.

New York, ses contrastes, ses contradictions, sa faune cosmopolite. Ludwig Sommer les enregistre comme un nouveau monde qu'il découvre mais il ne peut se défaire de ses interrogations lancinantes suscitées par la peur des événements vécus, par la perte de ses amis. « Sommes-nous encore capables d'aimer, non pas désespérément, mais simplement et avec abandon ? Celui qui aime n'est jamais tout à fait perdu, même s'il perd ce qu'il aime ; il reste toujours l‘image, le miroir, même s'il est troublé par la haine, cliché négatif de l'amour. Mais en sommes-nous encore capables ? »

La force de ce roman réside dans le pouvoir visuel d'Erich Maria Remarque. Il était lui-même collectionneur d'art, particulièrement des tableaux impressionnistes, et connaissait admirablement les bronzes anciens et les tapis d'orient. Ses descriptions donnent l'impression d'avoir les Pivoines de Manet sous les yeux ou d'être le pinceau de Sisley, tout comme on ressent l'authenticité d'un vieux vase dont la banalité apparente recouvre le satin de la patine que seul reconnaît un initié. Il donne une vie échevelée aux diverses stratégies de l'antiquaire ; que ce soit pour vendre un Renoir à un marchand d'armes ou un Degas à un couple hésitant.

Chaque personnage pourrait faire l'objet d'un roman à lui seul. Tout est à sa place, les états d'âme comme les soirées trop arrosées. C'est aussi cela la puissance émotionnelle qui ressort de ce livre. Magistral. Inoubliable autant qu' « A l'ouest rien de nouveau ».

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Cette Terre Promise tient fidèlement les promesses des deux voix qui m'ont incitée à la lire.

L'une s'est tue depuis quelques mois, mais sa sagacité et sa profondeur continuent  de nous éclairer , ici, à  Babelio, et je ne lis , ne relis jamais  une seule critique de ClaireG sans admirer la justesse de ses analyses, la générosité de ses jugements, l'élégance  classique de ses phrases.  Elle nous manque beaucoup et pourtant, elle est toujours là, et continue de nous parler depuis le lointain pays qui nous attend aussi.

La seconde voix, vous ne la connaissez pas, elle est menacée de se taire bientôt  et je l'écoute  tous les jours, espérant vainement retarder le plus longtemps possible le moment où nous ne pourrons plus parler de livres, de sculpture et d'amitié.  Elle m'a fait lire Cette terre promise, qu'elle m'a offerte.

 Comme un legs.

Désolée pour cette entrée en matière un peu grave et funèbre, mais le livre s'y prête.

C'est un livre sur l'exil, sur l'impossibilité de vivre une histoire nouvelle tant le poids de la précédente vous plombe comme un boulet, un livre sur la difficulté de replanter ses racines dans une terre qui vous accueille dans la suspicion,  parce que la marque infâmante que vous avez voulu fuir en demandant asile,  vous frappe injustement , vous qui  étiez des victimes et en qui  vos hôtes ne voient que des bourreaux.

Erich Maria Remarque raconte l'exil allemand aux USA , à la fin de la deuxième guerre. Des antinazis et des juifs, tous Allemands, donc à priori suspects d'être des espions  infiltrés d'Hitler dans cette terre promise dont l'avant-poste d'Ellis Island n'a pourtant rien de particulièrement accueillant...

Petits boulots, petites combines, petits trafics, grosses déceptions, cruelles déconvenues , sombres nouvelles : le microcosme des réfugiés allemands se replie frileusement  sur lui-même dans un New York brillant, trépidant, déjà lancé dans l'ère moderne de l'argent facile,  des relations mondaines et du succès.

Eux, les réfugiés, vivotent ou se débattent comme de beaux diables pour vivre ,  comme Ludwig Sommer, le narrateur. Chambres d'hôtels précaires, fiestas tristes dans une loge de concierge ou un appartement en gardiennage:  whisky U.S.  pour oublier les suicides de ceux que cette terre promise a cruellement mis au rencart , ou qui ne supportent décidément pas d'avoir survécu,   vodka russe pour noyer les humiliations de celles qui se prostituent pour un rôle, champagne à  la cantonade pour tous ceux qui bradent leurs talents pour un morceau de pain,  ceux que leur connaissance de l'art force à  jouer les escrocs.

Plein de mélancolie, mais jamais languissant, le roman fourmille de péripéties, de silhouettes cocasses ou pathétiques dont on suit partiellement la trajectoire hésitante sur le grand échiquier  des destins croisés.

Interrompu, en 1970, par la mort de son auteur,  inachevé donc, - mais pouvait-il finir, ce roman de l'exil et d'une résilience toujours différée, toujours remise en jeu, toujours fragile?- , ce roman qui mêle habilement fiction et  autobiographie, résonne comme un avertissement, une sorte de testament moral: les exilés d'un pays maudit, d'une nation marquée par le sceau d'infamie,  ne trouveront de repos nulle part.

Comme une mise en garde, comme un legs.

Ces antinazis allemands en terre américaine sont moins bien traités que ne le seront bientôt des von Braun. Ils annoncent le sort des Syriens, des Irakiens d'aujourd'hui, sommés de faire la preuve de leur persécution,  sous peine d'être assimilés  au terrorisme qu'ils fuient..

Un livre beau, grave- mais jamais pesant : plein d'un humour élégant et amer, comme un noeud pap' dans la débine.

 Ce dernier roman d'Erich Maria Remarque est précieux et inoubliable.

Comme un legs, vraiment.

Merci ,  Claire, merci ,   A...
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Ce serait peut- être maladroit de dire que j'ai lu ce livre avec plaisir, vu le sujet, mais c'est la pure vérité.

Paru en 1998 sous le titre 'Das gelobte Land', c'est cette ultime version qui a été choisie pour la traduction française .

Erich Maria Remarque amène le lecteur à la rencontre de Ludwig Sommer. Il s'agit d'un allemand pourchassé par les nazis, qui par ironie du sort réussit à rejoindre les Etats-Unis, sous l'identité d'un ami juif décédé. Evidement, il ne serait jamais arrivé jusque là, sans l'aide précieuse d'un riche homme d'affaires.
Il n' y a pas de guerre en Amérique, plus de prison pour les exilés, mais beaucoup de barrières : la langue, pas de travail déclaré… Heureusement la solidarité est toujours là et notre personnage se fera un plaisir de nous présenter des personnages attachants et souvent amusants.
Erich Maria Remarque ne cache rien au lecteur, les souvenirs douloureux des personnages reviennent souvent dans le récit. Mais heureusement, il y a les situations drôles et amusantes qui nous feraient presque oublier les soucis que tout le monde a dans l'esprit.
Un roman intelligent et encore une belle découverte, grâce au numérique.
Ne perdez pas l'occasion de vous plonger dans la lecture de ce livre inachevé. Il est sublime.

PS : Pour les lecteurs qui aiment lire en numérique, il est disponible chez Lirtuel .


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Ce livre est le récit de la mélancolie d'un exilé, allemand opposé au régime nazi, détenteur du passeport d'un ami juif décédé (de mort naturelle), dans l'Amérique de 1944. Tout lui fait penser aux souffrances du passé - les moments agréables aussi - et il n'arrive pas à revivre, tout simplement.
A la fin du livre, une courte biographie nous rappelle qui était cet écrivain auteur du célèbre "A l'ouest, rien de nouveau" (objet d'émeutes en Allemagne lors de sa parution en 1930).
L'errance de ce banni, qui ne trouve nulle part sa place et voit au-delà des apparences d'une Amérique heureuse, est bien rendue. C'est un récit philosophique qui fait réfléchir.
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A cette époque, les réfugiés venaient d'Europe.

1944. le narrateur qui a fui l'Europe attend un permis de séjour à Ellis Island pour entrer aux Etats-Unis sous l'identité d'un homme mort, Ludwig Sommer. Comme pour tant d'autres exilés, l'attente est longue et les chances de succès assez maigres. Un bienfaiteur lui envoie fort opportunément des avocats qui négocient son entrée provisoire sur le territoire. Sommer peut enfin marcher dans une ville en paix. Balbutiant l'anglais, ahuri par les usages locaux, il trouve cette ville bien étrange : l'existence ici est frivole ou occupée par le besoin de travailler. Il comprend assez vite que les réfugiés - le pire étant les Allemands comme lui (les alien ennemies) - vivent en marge de la population, rongés par les souvenirs de la guerre ou le désir de vengeance.

Ce texte inachevé est une surprise. Une bonne surprise.

Pourtant ce n'était pas gagné : voici un roman d'un auteur dont A l'Ouest rien de nouveau a éclipsé le reste de son oeuvre pour le grand public ; un texte tronqué car l'auteur est décédé en cours d'écriture. Or, ce livre posthume est porteur de promesses, comme son titre ; et le lecteur y trouve véritablement son compte.

Bourré de personnages très humains et de situations cocasses, on y trouve un auteur totalement différent de son oeuvre majeure : un humour doux-amer, des dialogues entre amis autour d'une bonne bouteille de vodka, une écriture très moderne et cinématographique, des femmes qui font rêver, une humanité désabusée mais prête à chercher le salut dans l'amour et la camaraderie.

Le récit a des résonances tout à fait actuelles quand il décrit les cohortes entassées devant New York : "Lamentables bateaux fantômes modernes, fuyant les sous-marins et la dureté des coeurs, cargaisons de morts vivants et d'âmes damnées dont le seul crime était d'être des hommes et des femmes et de vouloir vivre."

Le paradoxe est que New York, ville sans ruines où les réfugiés ne trouvent nulle frontière ni soldats, ne peut leur donner véritablement cette paix ou le soulagement qu'ils espéraient tant : les noms de leurs compagnons décédés en chemin et leurs familles laissées en Europe sont des motifs de remords. Leurs fantômes hantent les nuits des survivants. Remarque pose la question : le courage n'est-il pas plutôt du côté de ceux qui ont accepté leur mort en silence ?

Fidèle à sa vision humaniste et acerbe à l'égard des Nazis et de leurs complices, Remarque donne aussi sa vision d'une Europe détraquée : " La haine de l'étranger est le signe le plus sûr de la barbarie."

Décrivant par le menu les péripéties de la communauté et les activités rocambolesques de Sommer auprès de marchands d'art, ce roman n'est pas achevé et laisse au lecteur le choix de la fin. C'est peut-être cela la meilleure conclusion que Remarque pouvait donner à ce texte fleuve et salutaire.
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critiques presse (2)
Bibliobs
10 février 2017
C'est «la Comédie humaine» retouchée par Billy Wilder, et c'est sidérant d'actualité.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Telerama
25 janvier 2017
En 1944, un réfugié allemand fuit l'Europe pour l'Amérique. Le dernier livre, inachevé, du grand Erich Maria Remarque. Une oeuvre somptueuse.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
J’éprouvais dans mes veines un léger frémissement. Soudain je ne pouvais pas imaginer que je puisse jamais retourner en Allemagne. Je savais que je ne voulais que ça. Je voulais revenir pour rechercher les assassins de mon père ; pas pour vivre à nouveau là-bas. Je sentis alors, dans l’instant, que je n’en étais pas capable non plus. Il y aurait toujours cette double vision, de l’inoffensif petit bourgeois et de l’exécuteur obéissant. Je sentis que je ne pourrais jamais plus les séparer.

p. 265
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«Et vous? Vous êtes pourtant acteur vous aussi?
- Je joue de tout petits rôles. De nazis, pour mon malheur, rien que des nazis. Avec les cheveux teints, bien sûr, et une perruque. C'est bizarre : à Hollywood, c'est presque toujours à des Juifs qu'ils font jouer des nazis. Vous pouvez imaginer comment on se sent en faisant ça. Déchiré! Heureusement que ces nazis se font tuer de temps en temps ; sinon ça ne serait pas supportable.
- Est-ce que ça ne serait pas encore pire, étant juif, de jouer un Juif qui se fait tuer par les nazis?»
Bach me considéra en silence. «Je n'y avais jamais songé, dit-il ensuite. Vous pensez à tout! Non, les Juifs sont généralement joués par des vedettes. Non-juives. Quel monde!»
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J’avais l’impression que c’était la vie elle-même qui voulait à nouveau s’ouvrir à moi, après avoir été longuement prisonnière de la gangue imposée par la nécessité, et m’offrir appels et questions, panoramas et perspectives par-dessus le fatras spongieux des souvenirs et en direction d’un timide espoir encore insaisissable.

p. 37
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Je regardais le petit tableau à la fleur en méditant le conseil de Réginald Black. Il faut aimer quelque chose, avait – il dit doctement, sinon on est mort. C’est dans l’art qu’on est le plus en sûreté. Il ne change pas, ne déçoit pas, ne s’enfuit pas. Naturellement, on peut aussi se contenter de s’aimer soi-même, avait-il ajouté avec un regard en coin, et finalement qui ne le fait pas ? Mais c’est quelque peu solitaire et, avec l’art comme jumeau en plus, on s’en sort beaucoup mieux. L’art sous toutes ses formes : peinture, musique, littérature.
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J’ai vu la ville pendant trois semaines devant moi, mais c’était comme si elle avait été située sur une planète inconnue. Elle n’était qu’à quelques kilomètres, au-delà d’un bras de mer étroit que j’aurais presque pu franchir à la nage ; mais pour moi elle était pourtant aussi inaccessible que si elle avait été entourée par une armée de blindés. Elle était protégée par les bastions les plus massifs que connût le XX e siècle : des murailles de papiers et de règles concernant les passeports, et les lois inhumaines d’une bureaucratie indifférente. J’étais dans l’île d’Ellis Island, c’était l’été 1944, et devant mes yeux j’avais New York.

Ellis Island était le camp d’internement le moins rigoureux que j’aie jamais connu. On n’était ni battu ou torturé, ni gazé ou tué au travail. On avait même droit à de la bonne nourriture qui ne coûtait rien et à des lits où l’on pouvait dormir. Il y avait bien des gardes partout, mais ils étaient presque aimables. À Ellis Island étaient retenus les immigrants arrivant en Amérique dont les papiers étaient suspects ou pas en règle. Car il ne suffisait pas, en Amérique, de posséder le visa d’immigration d’un consulat américain en Europe, il fallait avant d’entrer qu’il soit encore une fois examiné et confirmé par les services d’immigration à New York. C’est seulement alors qu’on était admis ou bien, si l’on avait été déclaré indésirable, qu’on était renvoyé par le prochain bateau. Le renvoi, à vrai dire, n’était plus aussi simple depuis quelque temps. Il y avait la guerre en Europe, et l’Amérique était en guerre, les sous-marins allemands chassaient dans l’Atlantique, et rares étaient les paquebots qui ralliaient encore les ports européens. Pour les émigrés qui se faisaient refouler, ç’aurait pu être une petite chance – eux qui depuis des années comptaient leur vie en jours et en semaines, auraient pu ainsi espérer rester un peu plus longtemps à Ellis Island –, mais il courait déjà de trop nombreux bruits d’un autre genre pour que ce fût réconfortant : des rumeurs de bateaux fantômes pleins de Juifs désespérés, qui depuis des mois croisaient sur l’océan et se faisaient refuser l’entrée partout où ils voulaient aborder. Certains des immigrants avaient vu de leurs yeux, aux abords de Cuba et des ports d’Amérique du Sud, les cohortes de visages criant de désespoir et implorant pitié qui se pressaient aux bastingages des bateaux délabrés devant les ports fermés – lamentables bateaux fantômes modernes, fuyant les sous-marins et la dureté des cœurs, cargaisons de morts vivants et d’âmes damnées dont le seul crime était d’être des hommes et des femmes et de vouloir vivre.

Il y avait le nombre habituel de dépressions nerveuses. Curieusement, elles étaient même plus fréquentes à Ellis Island que dans les camps d’internement français, alors que les troupes allemandes et la Gestapo n’étaient plus qu’à quelques kilomètres. Sans doute parce qu’en France on s’était habitué à vivre sous la menace d’une mort imminente. Cette menace était telle qu’elle empêchait les dépressions, tandis qu’à Ellis Island l’idée que le salut si proche soit soudain remis en question aggravait les choses. À vrai dire, il n’y avait pas autant de suicides qu’en France : l’espoir, même mêlé d’angoisse, était encore trop fort pour cela. En revanche, une dépression pouvait être déclenchée par le simple interrogatoire d’un inoffensif inspecteur ; la méfiance et la vigilance des années de fuite volaient en éclats, provoquant une méfiance envers soi-même qui tournait à la peur panique d’avoir commis une erreur. Comme toujours, les dépressions étaient plus nombreuses chez les hommes que chez les femmes.
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Extrait du livre audio "À l'Ouest, rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque lu par Julien Frison. Parution CD et numérique le 11 août 2021.
https://www.audiolib.fr/livre/louest-rien-de-nouveau-9791035405885/
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