Citations sur Mon petit (29)
Alors, on nous a assis tous les quatre autour de la table et on nous a expliqué que Nina, notre petite sœur, avait cessé de respirer. Voilà c'était tout. Jeanne est revenue de la maternité éteinte et mutique. Il aurait été salutaire d'en parler, mais nous avons enterré Nina en chacun de nous.
Il nous a fallu une fois de plus jouer au Roi du silence.
C'est uniquement la force que l'on peut avoir en soi qui permet de s'arranger avec le réel et de composer avec, une force qui fait tenir, qui vous traverse et que l'on ne choisit pas.
Le courage n'existe pas.
Je lève la main droite et je dis : "Je le jure."
Sérieusement, ce n'est pas pour dire du mal, mais devenir mère est à haut risque. Un haut risque à durée indéterminée même.
Les enfants qui ont les meilleurs parents du monde sont les orphelins car ils peuvent les inventer.
La chambre, le lit, la carapace, la coquille attisent l’inextinguible brûlure et l’illusoire combat contre l’absence. La chambre ne peut être cachée ou complètement contournée, ou se ranger précieusement dans un tiroir. Sauf à pouvoir et vouloir déménager , elle raconte au quotidien l’absence plus encore que ne le font les vêtements, les jouets ou les photos.
J'ai navigué toute mon enfance entre Belleville et porte de Montreuil, entre deux femmes qui se ressemblaient à peine. Deux maisons donc, boulevard Davout et rue Piat, deux ventricules d'un même cœur dont le battements ont rythmé mon existence depuis mon entrée au CP jusqu'à la troisième (P. 47)
La mort de Tiago a été une intoxication infinie et lente. La mort de ton enfant, c’est pour toujours, à chaque instant. Tu ne dis jamais la mort de ton enfant au passé, tu ne dis pas « à la mort de mon fils ». La mort de ton enfant, c’est tout le temps, c’est partout, tu en es la crypte. Ton existence même est focalisée sur la mort de ton enfant, ton enfant , ton enfant, ton enfant. J’étais cette mère-là.
Notre propulsion dans la vie adulte avait été fulgurante ; Guss et moi jouions aux grands comme nous le pouvions. J’avais fait le choix de devenir mère, mais il y a longtemps que j’étais le parent de la mienne et de mes frères et sœurs. Gustave et moi officialisions simplement mon statut, celui d’une gamine qui n’avait pas pu l’être.
J’ignorais l’hiver. Il n’aurait pu me refroidir plus que la mort ne l’avait fait le matin même ; j’étais un petit cadavre de mère déambulant dans la ville le soir de la mort de son fils, marchant seule dans Paris. J’ai marché, et j’ai atteint la Seine. C’est elle que je voulais. C’est dans ses bras que je voulais me jeter. Je suis allée de pont en pont, comme ivre. J’entendais des voix de bébés. J’entendais ma mère qui m’appelait. La réalité est que j’entendais, en chœur, la folie qui me guettait et la vie qui me retenait.
Leur dualité était permanente, faite d’une grande générosité matérielle qu’ils brisaient régulièrement en laissant entrevoir qu’ils me prenaient pour une conne. J’ignorais que cette attitude condescendante s’appelait le « mépris de classe ». Il ne manquait qu’un message sur leur porte, comme dans le métro : « Ne mets pas ton cœur dans cette famille ou tu risques de te le faire pincer très fort. » Chez eux, les gros mots étaient interdits, et pourtant, dès qu’ils me parlaient, tout me semblait insultant et je ravalais mes mots comme on boit la tasse.