"Peut-être que je l'aime. Aimer, c'est dangereux. Aimer, c'est avoir quelque chose à perdre."
L'amour est une enchanteresse - sauvage et sournoise. Elle se glisse derrière vous, douce, tendre et tranquille, juste avant de vous trancher la gorge.
Portée par le vent, je l'entends encore : la légère complainte d'un chant.
-On a toujours des raisons de rester, reprend Bo. Il suffit de trouver une raison de partir.
Le chant a cessé.
Bo fait un pas de plus au bord de la falaise ; il a l’air de chercher à entendre ce qui a disparu.
- C’est fini, déclare -t-il
J’ai l’impression qu’on me tire les mots de la gorge :
- Les sœurs ont toutes trouvé un corps.
Ce calme soudain se niche entre chacune de mes côtes, enfle dans mes poumons, me rappelle ce qui va se produire.
- Elles sont toutes de retour.
Je ferme les yeux, me concentrant sur le silence. Ça n’est jamais allé aussi vite.
Maintenant, les noyades vont commencer.
Dehors, des nuages passent par intermittence devant la lune puis la relèvent à nouveau. Ballet de ciel clair mêlé de nuages bas, baignés de clair lune.
De toute façon, alors que notre année de première s’achève et que la terminale approche, je suis obligée d’envisager le reste de ma vie et de me rendre à l’évidence : mon futur est peut-être à Sparrow. Si ça se trouve, je ne quitterai jamais cet endroit.
Je demeurerai coincée ici.
Je resterai sur l’île, à lire l’avenir dans les feuilles de thé couchées au fond des tasses en porcelaine blanche, comme le faisait ma mère avant que mon père ne disparaisse.
À cette époque, les gens du coin traversaient le port dans leurs bateaux, parfois en secret sous une lune fantôme, parfois au beau milieu de la journée, parce qu’ils avaient une question urgente, et ils s’asseyaient dans notre cuisine, tapotant des doigts le bloc de bois qui servait de table, attendant que ma mère leur annonce leur destin. Puis ils laissaient des billets pliés, froissés ou aplatis sur la table avant de partir. Ma mère glissait alors l’argent dans une boîte en métal qu’elle conservait sur l’étagère près de la cuisinière. Voilà peut-être l’avenir qui m’attend : assise
dans la cuisine, les cheveux imprégnés du doux parfum de la camomille ou du thé à l’orange et à la lavande, à faire courir mes doigts sur le bord d’une tasse pour trouver des messages dans le chaos tourbillonnant des feuilles.
Mais la magie n'avance pas en ligne droite. Elle nait de la haine. De l'amour. De la vengeance.
Il voit la même chose en moi : un abîme de secrets si vaste, si profond, si infini qu'il suinte par les pores de ma peau. Nous les portons tous les deux. Un signe sur notre peau...
Peut-être que seuls ceux qui portent des cicatrices semblables peuvent les reconnaître chez les autres.
Aimer c'est dangereux. Aimer c'est avoir quelque chose à perdre.