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Critique de 4bis


« Elle sortit son mouchoir et tenta d'effacer, avec la sueur, ces coupables pensées.
Peine perdue, il se passait quelque chose de bizarre. Elle chercha de l'aide auprès de Tita mais cette dernière était absente. Son corps était bien sur la chaise, très correctement assis, mais il n'y avait dans ses yeux aucun signe de vie. C'était comme si, par une extraordinaires réaction chimique, son être s'était dissous dans la sauce des roses, dans la chair des cailles, dans le vin et dans chacun des effluves du repas. Tita s'insinuait dans le corps de Pedro, voluptueuse, aromatique, chaude sensuelle. »

Amoureux de rationalité, fervents défenseurs des bonnes moeurs et des histoires vraisemblables, passez votre chemin ! Ce n'est pas à la ferme de Mamá Elena que vous trouverez de quoi vous plaire.

Pourtant, depuis qu'elle est veuve, ses filles, elle les élève à la dure, Mamá Elena. le sens du devoir n'est pas un vain mot ici. Celui des convenances et de la décence non plus. Rosaura, l'ainée, Gertrudis et Tita, la grand-mère de la narratrice, passent leur journée dans l'obéissance et les corvées qu'occasionne une grande maisonnée à la campagne. Nous sommes au Mexique, au début du 20e siècle, pour ne rien arranger, la révolution fait rage. Vous verrez donc, entre deux dindons à plumer, des troupes de guérilleros dépenaillés, suant et diablement virils, des armées à nourrir, de grands dangers.

Mais vous comprendrez très vite que ce n'est pas dans les luttes intestines que réside le plus grand péril. C'est dans l'amour que Pedro voue à Tita et que celle-ci lui rend bien.

La plus jeune des trois filles est quasiment née dans la cuisine, elle y exerce depuis ses charmes redoutables. C'est bien simple, depuis qu'il a posé les yeux sur elle, Pedro sait qu'elle lui appartient. Mamá Elena aura beau lui promettre Rosaura en mariage, s'opposer à ce que ces deux là s'approchent, se frôlent, se respirent, c'est peine perdue ! Dans les vapeurs des plats dont les recettes nous sont contées au fur et à mesure des chapitres, grandissent la passion amoureuse et les invraisemblables intrigues qui lui font obstacle et constituent le sel de ce roman.

Vous y trouverez, outre des dizaines de piments, des amandes, du sésame et du chocolat, des cailles, des étreintes torrides, une douche artisanale, des dindons, du cacao et de la queue de boeuf, un enfant mort, une possible et adultère grossesse, une enthousiaste prostituée adepte des bacchanales, encore des piments, de l'ail, des oignons, du filet de porc pour les chorizo, poivre, cumin, vinaigre de pomme, des incendies, des allumettes qui auront pu être mouillées et puis plus. Enlacés à l'intrigue, ainsi. Dans un pêle-mêle indécent de recettes et d'aventures. Il faut au moins ça pour lutter contre le malheur guindé, les convenances cruelles et l'appétit des soldats.

C'est un roman qui m'a rappelé le coeur cousu, voluptueux et fou dont on imagine les scènes dans le contraste un peu outré des illustrés de mauvaise qualité ou le crépitement d'une radio captant mal les voix gouailleuses d'une telenovela sirupeuse. Un roman qui se joue de ces codes pour peindre des passions sublimes et interdites, des destins absurdes et grandioses dans un premier degré plein d'autodérision. Comme le gâteau Chabela (175 g de sucre, 300 g de fleur de farine, 17 oeufs et le zeste d'un citron, 800 g de sucre glace et 600 gouttes de citron pour le fondant), on n'en mangerait pas tous les jours. D'ailleurs ça nourrit moins que ça ne vous laisse vaguement écoeuré, presque honteux de tant de débauche sucrée, mais de temps en temps, alors que la pluie cogne sur les carreaux et que la vie paraît aussi banale que tristoune, oh que c'est bon !
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