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Critique de Ambages


« Vie manquée. Mort dérisoire. »

Elise attend la « vraie vie », loin de son petit monde étriqué. « Comme elle était douce, celle d'avant, la vie un peu floue, loin de la vérité sordide. Elle était simple, animale, riche en imaginations. Je disais ''un jour...'' et cela me suffisait. »

Elise raconte.

Elle quitte sa province et se retrouve à Paris avec son frère qu'elle aurait suivi au bout du monde, quoi qu'il fasse. Elle travaille à la chaine pour contrôler l'assemblage de voitures. « Mortel réveil, porte De Choisy. Une odeur d'usine avant même d'y pénétrer. Trois minutes de vestiaire et des heures de chaîne. »

Dans cette usine où son frère l'a fait embaucher comme lui, elle découvre le monde ouvrier, les contremaîtres qui surveillent les cadences, le bruit et la puanteur de l'essence et des peintures de carrosseries, les pieds meurtris et la fatigue du soir qui vous plombe, une fois rentrer dans ce foyer où il n'est même plus possible de trouver la force pour se laver.

C'est aussi le lieu où des ouvriers ne croient plus vraiment à la révolte et où le règne du chacun pour soi grandit à mesure que la chaîne avance un cran plus vite, malgré les manifestations. L'usine des grandes villes, le lieu où les ''arabes'' sont utilisés comme une main d'oeuvre peu onéreuse et peu rebelle car sans fiche de paye, la rafle de 22H dans les rues de Paris, se paye chère pour les « crouillats ».

Elise rencontre.

Arezki travaille dans cette usine et tout va changer dans la vie d'Elise. « Mutilée par ma vie rabougrie, par ma passion fraternelle et les horizons bornés, ma sensualité bien vivante, et qui n'avait trouvé pour s'exprimer que ces contemplations nocturnes et les joies mystiques du renoncement, éclata à la chaleur de cette amitié secrète. »

« La paix, c'était avant. Maintenant, l'orage tant désiré descendait en moi. »

Elise respire.

Des thés chauds partagés dans des bistrots parisiens aux promenades dans tous les quartiers de Paris, Elise et Arezki se touchent, se frôlent, s'apprivoisent. Reste l'embarras si bien décrit par Elise, la gêne qu'elle ressent : être avec un homme, algérien. Et l'incompréhension face à la prudence de cet homme qui sait le prix d'être né ''étranger'' et qu'elle découvrira avec lui, quand des policiers viennent fouiller l'immeuble, la chambre où ils s'étaient retrouvés, seuls au moins une fois.

Elise reste ?

La vraie vie est parfois plus difficile qu'on ne le pense...
« Et moi, ce soir, je me sens et je sens l'existence de cette ville, au-delà d'Arezki mais à travers lui, polie par l'ombre qui s'ouvre devant nous. »

Elise ou la vraie vie, un roman inoubliable. Une écriture magnifique. Claire Etcherelli a une sensibilité qui me touche infiniment et une acuité dans ses propos très fine. Une vision du monde que je trouve très juste et fidèle, où personne n'est blanc ou noir. L'auteur possède une compréhension aigüe des relations interpersonnelles et des relations au sein de la société de cette époque. Elle donne la parole à une Elise très honnête, y compris envers elle-même. Il y a tant de thèmes intéressants dans ce roman. C'est un instantané de la société française pendant la guerre d'Algérie doublé d'un magnifique roman d'amour.

Oui les paroles d'Elise sont profession de foi. Il n'y a pas un mot, pas une ligne, pas une pensée qui ne me fasse pas réfléchir. Et la dernière phrase que je trouve si belle : « Je me retire en moi mais je n'y mourrai pas. »

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