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Elise a-telle songé à se marier, à avoir des enfants, à vivre une vie de femme épanouie, la vraie vie ? Sans doute, mais la vie elle, en a décidé autrement. Elle naît avant la seconde guerre mondiale, elle est élevée à Bordeaux avec son frère, par sa grand-mère dont elle prendra soin, subit la guerre qui oblige les familles citadines à se protéger des bombardements, puis devient la grande soeur protectrice, la mère pour ce frère instable qu'elle soutient contre vents et marée et pour qui elle se sacrifiera.

Discrète fleurette tapie dans la pelouse, elle porte le monde, véritable ange gardien, elle tente de devenir la conscience de son frère. Et puis elle rencontre l'amour…

Claire Etcherelli dans ce roman très bien documenté, décrit avec justesse, le climat de la France durant la guerre d'Algérie, guerre rejetée par une bonne partie des Français, elle dénonce le racisme ambiant, emmène le lecteur en usine pour qu'il se mêle à la dure réalité du travail à la chaîne sous-payé, confié à des émigres qui savent qu'ils seront renvoyés au pays s'il ne sont pas en mesure de fournir une fiche de paie aux policiers, qu'il se confronte à l'injustice des cadres qu'il se mette dans la peau de l'immigré algérien victime des rafles, monnaie courante en ces années.


Le personnage d'Elise est ambigu : libérée par certains aspects de sa personnalité, elle se laisse bercer par Arezki, malgré la xénophobie de nombreuses personnes qu'elle côtoie. Toutefois elle se montre dépendante des exigences de son frère qu'elle entretient, obligée à un travail difficile faute d'avoir pu étudier, soumise à un destin qui l'oblige à renoncer à cette vraie vie pour se consacrer à ce personnage militant, infidèle, perturbateur, et lui vouer l'amour inconditionnel d'une grande soeur.


Elise ou la vraie vie n'est pas un roman des plus réjouissants, mais on y rencontre beaucoup de beauté, beaucoup de passion, et l'attachement à Elise ainsi que la belle plume de l'auteur subsistent après la lecture. C'est sans nul doute ce qui restera en moi de ce livre.
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1958. A Bordeaux, Elise mène une vie morne auprès de sa mère, en tentant de compenser les frasques de son frère, Lucien, jeune écervelé rêvant d'un autrement et ailleurs qui tomberait du ciel. La donne change lorsque sa petite amie du moment se retrouve enceinte de ses oeuvres. le couple s'installe dans la maison familiale, subsistant sur les maigres revenus d'Elise. La vraie vie est un rêve fumeux et intangible.

Mais quand Lucien abandonne femme et enfant pour partir à Paris avec sa maitresse, il réussit a convaincre Elise de le suivre. L'argent est un éternel problème pour ces jeunes qui se bercent d'illusions et Elise se fait embaucher à la chaine dans une usine de construction de voitures, où elle rencontre Arezki, un ouvrier algérien.


Le roman est paru en 1967, assez peu de temps après cette période que l'histoire n'a pas voulu assimiler à une guerre, la masquant sous le vocable vague d' « événements». Malgré tout, les relations tendues de la population française vis à vis des émigrés d'alors, les rafles, les arrestations et les vérifications incessantes, sont particulièrement bien évoquées. de même on participe avec Elise à ce quotidien abrutissant et épuisant qui ne laisse guère de temps, après de nombreuses heures à suivre la cadence, pour rêver d'une autre vie. Décevante et débilitante, la vraie vie!

J'ai beaucoup aimé le réalisme des portraits des personnages, bien mis en valeur par une très belle écriture.

C'est le témoignage d'une époque qui avait défini les cibles de sa haine, sans savoir que des décennies plus tard, d'autres migrants viendraient endosser le costume du rejet de la différence.
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J'ai raté l'entrée dans ce livre comme l'on peut manquer d'un rien d'attraper l'autobus, paradoxalement pour cause de précipitation. Du coup pendant une cinquantaine de pages, cette désagréable impression de courir derrière avec l'espoir ténu d'enfin agripper le marche-pied. Et toujours cette phrase qui trotte lancinante dans ma tête : "Ne pas penser. Ne pas reprendre les dernières phrases de la dernière conversation, les mots que la séparation ..." p.8 Ô phrase si souvent ressassée, hélas, qu'elle n'a pu m'alerter ; tout le récit est un énorme flashback : Elise remâche sa vie .

J'ai pris conscience de toute l'importance d'une telle construction dans le Chardonneret de Donna Tartt, car tout prend alors une autre dimension.
Ici, j'ai eu sur le début l'impression que le livre me rejetait, que je n'avais pas ma place dans ce monde âpre de douleur et pauvreté, c'est écrit petit, le texte me paraît dense, tout est gris. Il m'a fallu lutter et lutter encore : "Rien jamais ne nous était donné. Il fallait tout arracher." p.208 Où me raccrocher dans ce Paris, à l'opposé du strass, des paillettes et du rêve ? Paris que je ne connais pas. Et comment rentrer dans ce monde ouvrier si fermé, si peu côtoyé ? Sentiment total d'exclusion, alors faute d'être dans la tête d'Elise, si fraternelle, je me rapproche de Lucien. Pourtant c'est un salaud, il fuit ; pire, il se fuit. Même lui, avec ses élans enflammés et soudains, sa démangeaison de convaincre sur le terrain, me semble lointain. Ma lucidité me force à admettre que je suis rejeté en périphérie tel ce sociologue bourgeois révolutionnaire en chambre dont je préfère oublier jusqu'au prénom.

Mais revenons à Lucien. Qui pense aujourd'hui en regardant les jeux olympiques à tous ces enfants laissés sur le banc ?
- Tu comprends, mon ami - mon Ami !?- tu n'es pas sélectionné, aujourd'hui.
- Et demain ?
- Mais on - On !? - a besoin de toi, pour ... porter les bouteilles d'eau, encourager et aider celui qui est sur le terrain.
Comble de l'ignominie ! Qui dira les affres d'une amitié bafouée ? Exclusion qui vous trace un destin : la révolte. Permanente, viscérale, le rejet d'être rejeté ! Cantonné, ne ris pas, dans le rôle du perdant, à vie. N'empêche je continue à penser que c'est quand même un salaud. De belles phrases, de beaux slogans, de grandes idées dans l'absolu mais dans tout cela que deviennent Marie-Louise, sa femme et la petite Marie, sa fille, délaissées, spoliées au profit d'Anna rencontrée au Parti qu'il accepte comme maîtresse. Et sa grand-mère qu'il laisse tomber comme une vieille chaussette et Elise vite remisée au Foyer ? Oui mais Elise, en tant que soeur, est prête à tout lui pardonner. Des petits mots, des petits gestes, les lectures du soir, l'attention inquiète, l'admiration aveugle, par petites touches successives Claire Etcherelli fait apparaître ce lien fusionnel, fort, inconditionnel.

Ah, que je les envie toutes ces âmes généreuses et spontanées qui elles peuvent s'illusionner le temps de leur lecture devenir Elise. Car au-delà de la misère, au-delà de l'épuisement physique de l'abrutissant travail à la chaîne, au-delà des races, des regards désapprobateurs, des on-dit, des persifflages, au-delà des conflits, de la guerre même, Elise découvre au quotidien ce qu'il y a de beau à l'usine dans Arezki, cet étranger, cet Algérien pourchassé. Elise c'est une présence active : c'est celle qui a le geste qu'il faut au moment où il faut, la parole qui touche, le sourire qui réchauffe, l'aide secrète, simplement Elise écoute son coeur.

Elise vit et revit la rencontre de l'amour de sa vie. Elle repense à tous ces petits gestes, tous les émois de deux coeurs qui se cherchent, s'éloignent, se rapprochent et s'apprivoisent. Il en faut du courage à Elise, à Arezki, que leurs cultures et leurs nations en guerre séparent. Après bien des conversations et des déambulations dans ce Paris inquiet, peu à peu ils se trouvent... jusqu'à finalement fusionner dans cet éclair qui vient illuminer leur nuit noire et chargée de si lourds nuages. "Je connus le plaisir de donner du plaisir" p.247. Douce fois perdre pied en un élan rythmé.^^ Ca doit être cela la vraie vie. Exclusion, Inclusion, battements du coeur... la vie.

Amour cruel qui fait les amours éternels : Elise et Arezki c'est Juliette et Roméo sans chanson ni mandoline ! Le livre se termine sur le glas d'un autre Alexandrin qui sonne comme une incantation "Je me retire en moi mais je n'y mourrai pas." La même ultime déchirure scelle la pureté de cet amour longtemps façonné comme un diamant qui brillera dans la nuit des temps.

Des phrases simples font rejaillir le réel, des dialogues rythmés par la cadence de la chaîne ou qui prennent vie en dehors de l'usine. Belle écriture que celle de Claire Echerelli, forte, engagée ou aussi sensible, fine, à l'écoute et qui fait si bien émerger tout ce qui est tu. Toute la puissance du non-dit m'a heurtée de plein fouet pour me retrouver brutalement embarqué... dans cet autobus vers un univers que je ne connais pas. La vie qu'est-ce que c'est ? Alors la vraie vie, que pourrais-je vous en dire ? Je peux par contre vous dire que dans le titre le ou est inclusif, comme Elise ou encore la vraie vie. Et comme elle se raconte si bien ...

PS. Un petit cadeau sur le sujet par la voix d'une autre grande dame ... pour garder un lien
https://www.youtube.com/watch?v=GM1u72MNLuI
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Elise,est-ce que tu reconnais
La grisaille de ce quotidien qui s'éternise,
La fatigue qui achève tes parcelles de vie,
L'usine qui absorbe ton énergie vitale,
Dans l'odeur des voitures qui s'assemblent?

Elise, est-ce que tu assumes
cette passion défendue,
Avec Arezki l'Algérien ,
Que tu dois cacher,
protéger,
voiler de ton amour pur,
de ton amour fou,
pas raisonnable,
pas normal,
pas acceptable?

Elise,est-ce que tu es prête
À la brutalité des événements
Qui s'invitent en cette année 1957,
De ce racisme qui salit,
Qui blesse,
qui tue,
qui refuse,
qui dénigre,
qui avili,
qui humilie,
qui rejette,
qui oppresse,
qui interdit
à des êtres doux et délicats
de s'aimer…
Au-delà des frontières,
au-delà de la politique,
au-delà des guerres!

Elise, est-ce que tu l'aimes
pour un peu,
pour un pourquoi,
pour un combat de chaque jour,
pour un plongeon,
dans les eaux glacées ,
d'un temps
qui juge,
qui rejette,
qui pointe du doigts,
qui déraisonne,
qui se remplit de rejet,
d'indifférence,
de poursuite maléfique ?

Elise,est-ce que tu es prête à vivre
L‘amertume,
les blessures,
les espoirs déchus,
La peur au ventre,
la peur de le perdre,
la nostalgie poignante,
Les éclats de lumière
D'un amour qui s'irise
De nostalgie,

Que de courage à vivre ;
Ta vie
Elise,
Complètement,
entièrement,
avec aplomb,
avec sincérité,
avec honnêteté
d'une battante,
d'une rebelle qui affronte les
orages du temps
et qui reste fière et droite
au-delà des peurs,
au-delà des tords,
au-delà des mots…

Un livre qui m'avait bouleversé à 20 ans lorsque je l'ai lu …
Un livre qui reste encore dans ma mémoire sensitive tellement l'écriture de Claire Etcherelli est intense et vrai !!!
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L'amour impossible de la Bordelaise et de l'Algérien

Prix Femina 1967, «Élise ou la vraie vie» n'a pas pris une ride. Ce beau et fort roman de Claire Etcherelli est certes ancré dans le conflit algérien, mais cette histoire d'amour contrarié est aussi universelle que celle de Roméo et Juliette.

Comme c'est le cas de nombreux grands livres, Élise ou la vraie vie peut se lire à différents niveaux qui viennent se compléter et donner à l'oeuvre sa force et sa densité. Commençons par l'arrière-fond historique. Nous sommes au moment de la Guerre d'Algérie qui, entre 1954 et 1962, a embrasé les deux côtés de la Méditerranée. Car si les autorités françaises de l'époque ont longtemps ne pas voulu parler de Guerre, les tensions croissantes et surtout l'exportation du conflit dans la métropole ont installé un climat de peur et poussé à des exactions et à des rafles dans les milieux nationalistes algériens. Entre le Front de libération nationale (FLN) et l'Organisation armée secrète (OAS), il n'y aura très vite aucune possibilité de dialogue, mais une liste de morts que ne va cesser de s'allonger et laisser, comme avec les cadavres retirés du Métro Charonne, une trainée sanglante et peu glorieuse.
C'est donc dans ce contexte qu'Élise Letellier décide de quitter Bordeaux pour «monter à Paris». Dans la capitale, elle rejoint son frère Lucien et accepte de travailler chez Citroën avec lui. Ici foin de misérabilisme, la dure condition du travail à la chaîne est décrite simplement, sans faire dans l'emphase, mais en soulignant aussi les difficultés de la cohabitation avec les immigrés appelés en renfort pour compléter une main d'oeuvre alors difficile à trouver. Parmi ces derniers Élise croise le regard d'Arezki l'Algérien. Leur histoire d'amour aura ce côté tragique et universel des grandes passions contrariées et, pour ceux qui comme moi ont vu l'adaptation au cinéma de Michel Drach avant de lire le livre, les yeux de Marie-Josée Nat. Si le contexte les pousse à garder leur liaison secrète, ils ne peuvent fermer les yeux devant le racisme qui gangrène la France d'alors. Et la xénophobie qui continue à faire des ravages de nos jours, y compris dans les rangs de la police qui fait alors la chasse aux «Nordaf» sans discernement, persuadés que leur couleur de peau est déjà la preuve de leur crime.
Comme le souligne la romancière Anaïs Llobet, qui garde ce roman comme un talisman, c'est «avec une écriture toute dans la retenue, une économie des mots» que Claire Etcherelli parvient à donner une puissance inégalée à son roman. Sur les pas d'Élise et d'Arezki, on ne peut qu'être saisi par l'émotion et partagé ces sentiments d'injustice, d'impuissance et de révolte qu'ils vivent alors dans leur chair. Jusqu'à cet épilogue qui ne peut qu'être tragique.

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Lorsqu'on sait que Claire Etcherelli appartient au mouvement dit de " littérature prolétarienne ", on peut être ou formidablement attiré par son grand roman qui connut un grand succès et fut gratifié du Prix Femina 1967... ou au contraire se dire... encore un tract gauchiste qui va nous embarquer dans l'éternelle antienne de la lutte des classes et autres sujets barbants !

Dans l'un et l'autre cas de figure, je dis gardez-vous de tout jugement hâtif et songez, par exemple, à - À la ligne : feuillets d'usine -, le formidable bouquin du regretté Joseph Ponthus, qui a, ne serait-ce que par son contexte, l'usine et le travail à la chaîne comme parenté avec - Élise ou la vraie vie -. L'un et l'autre prenant racine dans la réalité d'un quotidien très similaire.

Ce qui rend le roman de Claire Etcherelli si singulier et d'une certaine façon unique, c'est qu'il embrasse plusieurs thèmes à la fois : l'enfance orpheline, la pauvreté, la vie provinciale opposée au " parisianisme ", l'amour maternel et quasi castrateur d'une soeur aînée pour son frère, le mariage comme échappatoire à la claustration juvénile, l'adultère, la paternité déléguée, l'abandon, la condition et la vie ouvrière, " la fuite monotone et sans hâte du temps " sur une chaîne de montage dans une usine d'automobiles, l'engagement politique, le racisme et l'Amour impossible dans un contexte où le poids de l'Histoire est omniprésent.
C'est de la fiction, c'est de l'autofiction et c'est un témoignage.

Élise est la soeur aînée de Lucien. Tous deux orphelins de père et de mère ont été confiés à la garde de leur grand-mère.Nous sommes au début des années 50 peu avant la fin de la Guerre d'Indochine, quelque part dans un quartier populaire de Bordeaux. Élise ne vit que pour son frère, lequel cherche à échapper à cette mère de substitution castratrice... Ils grandissent chichement dans une vie provinciale rythmée par l'ennui. Lucien a un mantra qu'il répète inlassablement à Élise : " bientôt nous connaîtrons la vraie vie..."
En attendant, peu d'études pour l'un et l'autre. Peu ou pas de travail si ce n'est quelques heures de surveillance dans un établissement scolaire pour Lucien... Celui-ci, joli garçon sans grands scrupules s'éprend d'une belle voisine, Marie-Louise, qu'il épouse et met enceinte. Deux gosses, l'une éprise de son jeune et beau mari, un autodidacte qui épluche les journaux compulsivement... l'autre un idéaliste épris d'une conscience et d'un idéal révolutionnaire que la rencontre de deux militants, Henri un intellectuel bourgeois acquis au socialisme et Anna une maîtresse révolutionnaire, vont pousser à franchir le pas : partir pour la capitale pour contribuer à y préparer " le grand soir ".
Élise renvoyée à une vie terne et solitaire s'occupe de la grand-mère qu'une glissade sur un trottoir givré a envoyée pour quelques mois à l'hôpital.
Un jour, une lettre de Lucien convainc Élise de rendre visite à son frère à Paris.
Commence alors pour elle " la vraie vie ".
D'hôtels minables en foyers, le manque d'argent va pousser la jeune femme à travailler... à l'usine, à la chaîne de montage des automobiles. Sa fonction : passer d'une voiture à l'autre pour vérifier que le processus de fabrication est correct... tableau de bord, boîte à gants,essuie-glaces, rétros, phares, clignotants sont inspectés à la chaîne en un temps chronométré etc etc
Le milieu est un milieu d'hommes. La grande majorité de ces hommes sont des Arabes... et nous sommes en pleine guerre d'Algérie... En même temps que la condition ouvrière, le travail à la chaîne, la vie en usine, Élise va découvrir le racisme de la France des années 50, avec ses rafles, ses " ratonnades ", la violence de la police française, celle du FLN... et le grand amour pour Arezki, un ouvrier algérien qui milite clandestinement pour l'indépendance de son pays...

Les 276 pages de ce roman se lisent la boule au ventre. le travail d'écriture et de restitution de Claire Etcherelli est remarquable de justesse, de finesse, d'acuité. de tous les thèmes qui s'imbriquent dans ce roman, pas un n'est négligé. Mais toutes les pages qui ont trait à l'usine, à la vie à l'usine, au travail à la chaîne, sont d'un réalisme confondant.

Qui ne sait pas ce qu'était le travail à la chaîne dans les usines Renault ou autres à la fin des années 50 dans notre beau pays, devrait lire cet ouvrage. À l'heure où l'on parle de retraite, de pénibilité, de salaires, de primes, de productivité, ce livre est un formidable témoin de ce que furent les " Trente Glorieuses " et de ce qu'ont vécu beaucoup de " Boomers ".
Qui parle de racisme dans un monde qui en est gangrené devrait lire ce livre pour mieux comprendre où, quand et comment il est né.
Qui parle de violences policières, de contrôles au faciès devrait lire ce roman.
Qui veut lire une très belle histoire d'amour vécue par un couple mixte devrait lire - Élise ou la vraie vie - !

C'est du romanesque, c'est de l'historique, c'est du sociologique... c'est du Ken Loach et du Upton Sinclair, celui de - La jungle -. Bref, ça bouscule, ça dérange !

" Celui que j'ai prêté à Lucien me manque terriblement. Dix mille francs. de quoi vivre toute une semaine. Nous sommes des pauvres dignes. de ceux qui cachent leur pauvreté comme une disgrâce honteuse. Cela doit rester entre nous."

" Je me suis trouvé dans la nécessité matérielle d'accepter un boulot pénible, mais combien exaltant. Je vais me mêler aux vrais combattants, partager la vie inhumaine des ouvriers d'usine. Au milieu des Bretons, des Algériens, des Polonais exilés ou des Espagnols, je vais trouver le contact avec la seule réalité en mouvement. Et quand j'aurai fini ma journée d'usine, je retrouverai mes papiers, mes papiers, car, ma vieille Élise, je témoignerai pour ceux qui ne peuvent le faire."

" Il y a cinq mois que je suis là, reprit Lucien. J'ai été à ton poste, à d'autres. Et j'ai compris le système. Que tu partes ou que tu restes, ce que je veux te dire te servira. Trois jours, un mois, peu importe. Ne sois pas humble. Ici, l'humanité est un aveu. Un peu d'insolence mettra les autres à l'aise. Les chefs sont des aboyeurs. Ne leur ôte pas ce plaisir. N'en fais pas trop. Fais-le comme un bon outil, tu n'es pas autre chose. Ne cherche jamais à comprendre ce que tu fais. Ne demande pas à quoi sert ceci ou cela. Tu n'es pas là pour comprendre, mais pour faire des gestes. Quand tu auras pris la cadence, tu deviendras une mécanique bien réglée qui ne verra pas plus loin que le bout de la chaîne. Tu seras classée bonne ouvrière et augmentée de trois francs de l'heure."

" Arezki, lorsqu'il me rejoignit à Stalingrad, déclara que nous n'irions plus aux Ternes, ça n'était pas un bon quartier...
- On va... au Trocadéro.
Nous avons été au Trocadéro. Nous y sommes même revenus le surlendemain. Nous nous sommes promenés dans les jardins où la brume givrante dressait autour de nous des murs protecteurs. Nous avons été à l'Opéra et fait plusieurs fois le tour de l'édifice. Nous avons traversé les ponts.
Nous nous sommes perdus dans les rues du quartier Saint-Paul. Nous avons remonté les boulevards autour de l'axe Saint-Augustin. Partis de Vaugirard, nous nous sommes retrouvés à la porte d'Auteuil. La rue de Rivoli, nous l'avons parcourue dans les deux sens. Et le boulevard Voltaire, et le boulevard du Temple, et les ruelles derrière le Palais-Royal. Et la Trinité, et la rue Lafayette. Nous ne revenions jamais dans le même quartier. Quelque fait banal, un rassemblement, l'ombre d'un car de police, un flâneur qui nous suivait, et la promenade tournait court. Il fallait nous quitter."

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Wouahou ! C'est dur, mais c'est juste !
En effet, ce livre sent le vécu ; l'auteure, Claire Etcherelli a vécu le parcours d'Elise !
1957. Elise et son frère Lucien sont orphelins et vivent chez la grand-mère pauvre, en province. J'ai une impression de "L' amie prodigieuse", le film. Elise fait la "petite mère" protectrice. Lucien veut accéder à ce qu'il appelle "la vraie vie". Il part à Paris rejoindre son ami Henri, qui est privilégié, mais qui, sorte de bobo, s'intéresse au cas des prolétaires et des Algériens. Lucien est embauché dans une usine de voitures et travaille à la chaîne. Elise le rejoint et travaille aussi à la chaîne dans la même usine : c'est ce que Lucien appelle " la vraie vie". "Tu parles ! "rétorque Elise. Elle est contrôleuse et saute d'une voiture à l'autre, en compagnie de Mohamed qui fixe des rembourrages et Arezki qui visse les rétroviseurs. Une histoire amoureuse s'ébauche, mais il faut faire attention aux descentes de police.
.
J'avais mis au début 3 étoiles pour la dureté et " l'inconfort" du roman, mais je pense que c'est une oeuvre capitale sur la tolérance au même titre que le "Traité sur la Tolérance" De Voltaire ;
c'est en plus un témoignage vécu, puisque l'auteure a travaillé à la chaîne, chez Citroën ;
c'est aussi un témoignage sur les nombreuses ratonades policières d'Algériens fuyant la guerre à Paris ; en effet, la guerre Algérie-France ( 1954-1962 ) a fait 250.000 morts du côté algérien, et 25.000 du côté français.
.
Une oeuvre pour ne jamais oublier, et tirer, si les hommes en sont capables, les leçons du passé.
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Un livre qui décrit très bien la vie en usine sur une chaîne, le milieu ouvrier donc, et un climat particulier le Paris à l'époque de la guerre d'Algérie. le ton n'est pas joyeux du tout. En lisant ce roman j'ai retrouvé les banlieues sordides et grises de l'après-guerre... Ces villes de ceinture autour de Paris ont mis beaucoup de temps avant de d'approprier des couleurs, des immeubles vétustes, délabrés, des murs noirs, perdus souvent au milieu des usines... J'ai aimé ce livre même s'il est assez déprimant et si l'auteur tente de "réhabiliter" en quelque sorte "Lucien", jeune homme, ayant fait quelques études, qui se conduit le plus souvent comme un mufle et un parasite.
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« Vie manquée. Mort dérisoire. »

Elise attend la « vraie vie », loin de son petit monde étriqué. « Comme elle était douce, celle d'avant, la vie un peu floue, loin de la vérité sordide. Elle était simple, animale, riche en imaginations. Je disais ''un jour...'' et cela me suffisait. »

Elise raconte.

Elle quitte sa province et se retrouve à Paris avec son frère qu'elle aurait suivi au bout du monde, quoi qu'il fasse. Elle travaille à la chaine pour contrôler l'assemblage de voitures. « Mortel réveil, porte De Choisy. Une odeur d'usine avant même d'y pénétrer. Trois minutes de vestiaire et des heures de chaîne. »

Dans cette usine où son frère l'a fait embaucher comme lui, elle découvre le monde ouvrier, les contremaîtres qui surveillent les cadences, le bruit et la puanteur de l'essence et des peintures de carrosseries, les pieds meurtris et la fatigue du soir qui vous plombe, une fois rentrer dans ce foyer où il n'est même plus possible de trouver la force pour se laver.

C'est aussi le lieu où des ouvriers ne croient plus vraiment à la révolte et où le règne du chacun pour soi grandit à mesure que la chaîne avance un cran plus vite, malgré les manifestations. L'usine des grandes villes, le lieu où les ''arabes'' sont utilisés comme une main d'oeuvre peu onéreuse et peu rebelle car sans fiche de paye, la rafle de 22H dans les rues de Paris, se paye chère pour les « crouillats ».

Elise rencontre.

Arezki travaille dans cette usine et tout va changer dans la vie d'Elise. « Mutilée par ma vie rabougrie, par ma passion fraternelle et les horizons bornés, ma sensualité bien vivante, et qui n'avait trouvé pour s'exprimer que ces contemplations nocturnes et les joies mystiques du renoncement, éclata à la chaleur de cette amitié secrète. »

« La paix, c'était avant. Maintenant, l'orage tant désiré descendait en moi. »

Elise respire.

Des thés chauds partagés dans des bistrots parisiens aux promenades dans tous les quartiers de Paris, Elise et Arezki se touchent, se frôlent, s'apprivoisent. Reste l'embarras si bien décrit par Elise, la gêne qu'elle ressent : être avec un homme, algérien. Et l'incompréhension face à la prudence de cet homme qui sait le prix d'être né ''étranger'' et qu'elle découvrira avec lui, quand des policiers viennent fouiller l'immeuble, la chambre où ils s'étaient retrouvés, seuls au moins une fois.

Elise reste ?

La vraie vie est parfois plus difficile qu'on ne le pense...
« Et moi, ce soir, je me sens et je sens l'existence de cette ville, au-delà d'Arezki mais à travers lui, polie par l'ombre qui s'ouvre devant nous. »

Elise ou la vraie vie, un roman inoubliable. Une écriture magnifique. Claire Etcherelli a une sensibilité qui me touche infiniment et une acuité dans ses propos très fine. Une vision du monde que je trouve très juste et fidèle, où personne n'est blanc ou noir. L'auteur possède une compréhension aigüe des relations interpersonnelles et des relations au sein de la société de cette époque. Elle donne la parole à une Elise très honnête, y compris envers elle-même. Il y a tant de thèmes intéressants dans ce roman. C'est un instantané de la société française pendant la guerre d'Algérie doublé d'un magnifique roman d'amour.

Oui les paroles d'Elise sont profession de foi. Il n'y a pas un mot, pas une ligne, pas une pensée qui ne me fasse pas réfléchir. Et la dernière phrase que je trouve si belle : « Je me retire en moi mais je n'y mourrai pas. »

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Ce livre provoque toujours en moi une tristesse indicible, une sourde douleur, un chagrin sans nom....

Elise et Arezki, ce couple magnifiquement tragique, hante mes pensées.Vivre un amour pur, entier, au moment de la guerre d'Algérie, pour une française et un algérien,c' est une épreuve de chaque jour, un courage terrible.Un acte rebelle.

Elise, venue rejoindre son frère Lucien, qu'elle couve malgré elle comme une mère, travaille durement à la chaîne en usine et découvre un monde du travail injuste et violent.C'est là qu'elle rencontre Arezki.

Les étrangers sont mal vus, méprisés.Le racisme banal, brutal, est attisé par le début de la guerre en Algérie.Les haines primitives s'exacerbent.Les deux amants sont obligés de se voir en cachette, à la dérobée, alors que leurs sentiments lumineux ne demandent qu'à voir le grand jour.On devine que des drames se profilent.Trop d'angoisse, trop de rejets.

le roman s'achève dans la désillusion et la souffrance.Un amour brisé, une vraie vie enfuie.

le style est admirable, mêlant poésie et grisaille du quotidien, passion et amertume,blessures et espoir, nostalgie poignante et éclats de lumière du souvenir.

Un livre bouleversant.
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