Je me faisais une joie de lire ce livre, dont j'avais entendu l'autrice parler à la radio. Elle disait à quel point elle avait été presque étonnée des retours des lecteurs blancs qui disaient à quel point cette uchronie, dans laquelle ce sont les noirs aphrikans qui réduisent en esclavage les blancs europans, leur avait fait mieux comprendre l'horreur de l'esclavage. Je voulais lire ce livre, et je voulais aussi voir quelle serait ma réaction à la mise en esclavage de gens me ressemblant. Je me suis donc précipitée sur ce livre lorsque je me suis aperçue qu'il était sorti en poche, et me voilà, maintenant que je l'ai lu. Et c'est une grande déception…
L'idée est bonne, c'est sûr. Mais il aurait fallu soit en faire une longue nouvelle ou un court roman, ou bien il aurait fallu mieux creuser le sujet. Certes, l'inversion est là, mais le monde que crée
Bernardine Evaristo est bancal et j'ai été mal à l'aise pendant toute ma lecture, mais pas mal à l'aise pour les bonnes raisons, pas pour sa dénonciation de l'esclavagisme, mais parce que j'avais du mal à me retrouver dans ce monde, un monde qui emprunte à plusieurs périodes historiques allant du moyen âge avec par exemple le servage (qui, si je ne me trompe pas n'existait plus au moment où le commerce triangulaire a pris son essor) jusqu'à la période contemporaine avec des skates et des ados typiques d'aujourd'hui (le téléphone portable en moins). Cela donne un drôle de mélange technique, de la plume d'oie au roulement à bille. On pourrait me rétorquer, et à raison, que
Bernardine Evaristo crée un monde et qu'elle a donc le droit de faire ce qu'elle veut, mais pour moi, cela a nui à mon immersion dans la réalité du livre et donc à la qualité de ma lecture.
Et plus important encore, c'est dans le traitement même du sujet de l'esclavagisme qu'il y a quelques lacunes. Quand on veut renverser un monde, il faut le faire de façon cohérente. Ici, il y a des bouts renversés et d'autres non : on se réfère parfois aux blancs en parlant des « blègres », un retournement bien vu du terme « nègres », mais pourquoi les navires utilisés pour la traître sont-ils des navires négriers, et non des « navires blégriers » ? Ce travail un peu fait à moitié affaiblit beaucoup le message du livre : on n'a pas les images pour nous rappeler sans cesse le renversement de situation, et les mots ne le rendent pas suffisamment omniprésent, ce qui est bien dommage puisque c'est la raison d'être du livre…
Me voici donc en train d'écrire une note de lecture bien négative, peut-être trop. Si ce livre ne m'a pas convaincue, je me dis qu'il a tout de même le mérite d'exister et il peut présenter un véritable intérêt pour certains lecteurs. Probablement principalement des lecteurs qui sont sensibilisés aux questions du racisme, mais sans y avoir pensé de façon très approfondie. le retournement des valeurs présenté dans ce livre est intéressant pour quelqu'un qui ne s'est jamais vraiment posé cette question
: le Noir sûr de sa supériorité qui trouve les maisons europanes ridicules parce que carrées, qui préfère avoir froid en Europa plutôt que d'adapter sa façon de s'habiller et qui en plus trouve ridicule ces vêtements qui entourent les membres, comme si les Europans étaient trop bêtes pour s'habiller sans avoir un trou pour passer chacun de leurs membres !
Et puis il y a quelques questions qui traversent les débats sur le féminisme et l'anti-racisme de ces dernières décennies qui sont évoqués (quoique un peu rapidement, il faut presque déjà connaître ces débats pour les repérer)
, par exemple sur les canons de la mode avec une marque aphrikane plus noire et plus en rondeurs pour remplacer nos poupées Barbie, et de façon générale une réflexion sur les canons de la beauté et l'absence de modèles auxquels s'identifier pour les jeunes filles « blègres »[