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Critique de berni_29


En cette fin d'année un peu anxiogène, j'avais besoin de me détendre un peu les zygomatiques. Quoi de mieux que de me plonger dans Broadway, ce roman jubilatoire écrit par Fabrice Caro !
Axel, le narrateur, est un père de famille comme tant d'autres. Il a tout pour être heureux. Une femme attentionnée Anna, deux adolescents Tristan et Jade qui ont quatorze et dix-huit ans. Il adore lorsqu'on lui demande : quel âge ont vos enfants ? 14-18 ! Drôle non ? Déjà vous voyez, le ton est donné ! Ils ont des amis qui ne veulent que le bonheur du couple. Sans compter leur voisin ! Il n'en finit pas de ramasser les feuilles mortes sur sa pelouse à longueur d'année. Mais où est-ce qu'il les trouve toutes ces feuilles mortes ? Ce n'est pas possible, il doit se les faire livrer ! Ah ! Ces chers voisins... Comme c'est beau, comme c'est sympa les voisins... Nous sommes tous d'ailleurs des voisins...
Tout va à peu près bien jusqu'au jour où le monde commence à se dérégler dans la vie d'Axel. C'est un peu ce qu'on appelle l'effet papillon. Dans le cadre du programme national de dépistage du cancer colorectal, Axel vient de recevoir de son Assurance-maladie une invitation à y participer. Chouette ! Youpi ! Rien d'anormal, à ceci près que ce programme s'adresse aux personnes de cinquante ans et plus et qu'Axel n'en a que quarante-six... Pourquoi ?! Pourquoi ?! Alors, si vous lisez cette chronique à haute voix,- et je n'en doute pas que vous lisiez mes chroniques à haute voix peut-être en famille ou en cercle d'amis, je vous supplie de prononcer à ce moment-là ces mots avec le même trémolo qu'utilisa ce fameux commentateur sportif ému lorsqu'en finale de la Coupe du Monde de 2006 Zidane assena un coup de tête dans la poitrine de Materazzi... Pourquoi ?!
Il n'en faut pas plus pour que le sol commence à se fissurer sous les pieds d'Axel. Pourquoi ?! C'est aussitôt l'affolement, le désarroi, une sorte de peur panique et dans ces cas-là, vous savez, certaines de nos attitudes ne font qu'empirer la situation : on veut s'accrocher à la nappe et tout vient avec, les verres, les assiettes, ce qu'il y a autour, ce qu'il y a dedans, ce qui manquait peut-être aussi...
Le monde d'Axel, c'est un peu Buster Keaton au pays de Kafka.
Ici, brusquement, à travers cette lettre de l'Assurance maladie, c'est une suite de déconvenues qui se révèlent aux yeux d'Axel, un enchaînement de faits et le pauvre Axel se croit maudit des dieux ou plutôt de ce courrier du programme national de dépistage du cancer colorectal, car toutes les autres catastrophes qui s'ensuivent découlent de là forcément : la convocation au lycée parce que le fils d'Axel, Tristan, a dessiné deux de ses professeurs dans une scène de fornication, le voisin qui inévitablement va lui rappeler que ça y est nous sommes arrivés à l'échéance des trois mois et que le moment est venu pour eux de se plier au rituel de l'apéritif chez Axel cette fois, sa fille Jade amoureuse éconduite qui demande à son père de mettre un cierge à Notre-Dame d'Espérance pour jeter un sort à sa rivale et, cerise sur le gâteau, les amis, ces chers amis, qui proposent d'initier Anna et Axel au paddle l'été prochain sur la plage de Biarritz.
Pourquoi ?! Warum ?! Alors, oui, cette fois-ci, bien sûr toujours si vous lisez mes chroniques à haute voix, vous pouvez le faire un peu plus ténébreux pour casser le rythme, façon plus sobre dans le tragique, à la manière de Louis Jouvet ou d'Alain Cluny, vous savez cet acteur un peu sinistre dans Notre-Dame-de-Paris qui joue le rôle d'un prêtre et qui se fait jeter par Quasimodo par-dessus les gargouilles de la cathédrale et qui, peut-être lui-même a crié un dernier et ultime Pourquoi.
Alors dans ces cas-là, tous les yeux se tournent vers Axel : il faut prendre une décision. Mais, pourquoi, et là c'est plutôt « pourquoi moi ?».
La vie lui échappe, au pauvre Axel... C'est terrible, j'ai l'impression qu'Axel me ressemble... Et c'est sans doute ce que ce diable de Fabrice Caro espérait que je dise, l'ingrat! alors que je fais des efforts désespérés pour lui concocter une chronique aux petits oignons...
Moi, je dis que cela ne serait pas arrivé en d'autres temps. En d'autres temps anciens, les courriers hautement importants n'étaient même pas confiés par la malle postale, transport trop risqué à cause des bandits des grands chemins. Non, les militaires avaient tout pensé depuis belle lurette (alors ici, belle lurette n'est pas le nom de la compagne de Gai-Luron personnage créé par ce cher Gotlib, c'est juste ici une expression un peu désuète pour mettre un petit cachet rétro à ma chronique).
Ces courriers importants, hautement confidentiels, étaient confiés à des pigeons voyageurs. Alors, voilà j'ai alors imaginé Fabrice Caro transposant son histoire au XVIIIème siècle et peut-être que tout ceci ne se serait pas passé comme cela. À l'époque, chaque courrier de ce style était vu et revu avant son départ. Pas question que le pigeon voyageur parte avec un destinataire qui n'était pas le bon, vous imaginez ce que cela aurait pu être en tant de guerre ! Les risques ? Alors, imaginons un programme de dépistage national du cancer colorectal au hasard en 1715 envoyé par des pigeons voyageurs. Génial, non ? Ne me demandez surtout pas : pourquoi en 1715 ?! Alors peut-être qu'alors, l'âge ne serait pas le même à cause de l'espérance de vie, peut-être qu'on lancerait l'opération à partir de quarante ans et qu'un certain Axel recevrait une missive alors qu'il n'aurait que trente-six ans, neuf mois et vingt-deux jours. Oui, ça vous paraît précis, mais j'ai fait bêtement une règle de trois. Et alors, j'ai imaginé dans la tête de Fabrice Caro, un délire fou. Imaginons le fameux pigeon chargé de la missive hautement délicate, s'arrêtant en chemin sur des arbres où figurent des baies rouges, de bien belles baies rouges délicieuses et parfumées,- chouette! les jolies baies rouges!, mais hautement laxatives, vous voyez venir le scénario, un pigeon qui amène une information hautement stratégique sur un programme de dépistage du cancer colorectal et qui arrive avec sa missive dans une situation des plus délicates et des plus gênantes pour le volatile et surtout pour les personnes en-dessous auxquelles s'adresse la missive, quelle magnifique publicité pour le programme en question ! Et là, Axel aurait pris cela comme un message de bonne augure, un geste portant le bonheur...
Tandis qu'en 2020...
Quelque chose de lourd, de pesant, d'oppressant est là dans le présent. Axel prend conscience de cette impression de subir en permanence le présent, sans ne rien savoir maîtriser, n'avoir jamais prise sur rien, cette sensation de ne rien décider, de passer à côté de soi. Peut-être que nous ressentons la même chose et si nous en rions, c'est que cela nous touche aussi.
Il y a ce côté autruche, si facile, s'enfouir la tête dans le sable lorsqu'il faut être présent, décider. Mais pourquoi faut-il encore décider dans nos existences où tout semble régulé d'avance... ?
Je découvre qu'Axel me ressemble et c'est terrible. Je soulève le rideau de la fenêtre et j'entrevois la maison du voisin. Ouf ! Je me sens plus heureux qu'Axel...
Mais pourquoi dans nos vies compliquées, faudrait-il toujours savoir prendre des décisions ? Vaste sujet. Qu'en pensez-vous ?
Autant vous dire que Broadway fut une lecture jouissive, elle m'a fait un bien fou en cette période particulière. Mais par-delà l'autodérision, il y autre chose aussi, il y a la saveur des premières fois, de la tristesse infinie, des rendez-vous manqués, une mélancolie douce-amère... Une envie de continuer de croquer la vie.
Et si la seule manière de survivre à un quotidien où l'on perd pied, n'était pas de se tenir droit debout en équilibre sur un paddle, les bras ouverts face à la plage de Biarritz ?
Broadway, j'ai aimé.
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