Mais cela, elle ne le raconte pas, ma mère a sa dignité berbère ; on ne dit pas n'importe quoi quand on boit du thé, même lorsque le miel colle aux dents.
Il y a un autre endroit où j'oublie que je suis la fille, sa fille, leur fille. Un endroit où ils n'auront jamais leur place. Et c'est d'abord pour ça que j'aime l'école.
Quand j'y vais, j'ai envie de voler au-dessus du monde pour apercevoir les rêves qui traînent par terre. (...)
De ma mémoire algérienne, j'élève un brouillard de contes berbères où les tissus d'Orient soyeux caressent des cous coloniaux et des croupes de putes alanguies au coin des rues suintant la pauvreté. Ma vie de fille s'étend entre le rêve d'une Algérie des Mille et une Nuits et la réalité du bled aux rues tortueuses, entre le fantasme d'ne fière puissance guerrière et la réalité du regard envieux de ses habitants.
Elle avait imaginé qu'aller en France c'était un peu comme nager dans de la crème fouettée; cela allait être doux, parfumé, sucré et délicat. Au lieu de ça, elle est obligée de tenir le bras de cet homme de crainte de glisser dans le vomi des autres. Le mari, avec sa tête ronde et ses dents blanches lui montre la mer. Elle la voit. Quelle idée de lui montrer le seul truc qu'on voit à des kilomètres ! C'est sûr, Allah s'acharne.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même quand il s'agit du destin.
On ne frappe pas les enfants des autres.
Comprendre qu'elle était ma mère devait m'amener à accepter que j'étais du même sexe qu'elle, que j'avais vagi entre ses cuisses et qu'entre les miennes se tenait le même mystère.
J'ai les cheveux de ma mère, les genoux de ma mère, les cuisses de ma mère, les fesses de ma mère. Tout ce que je refuse et m'est étranger est moi. La nature m'a désirée telle et cela devient mon scandale quotidien.
Dans la chambre de mon impasse, étrangère à moi-même, je me regarde grandir en attendant que quelque chose m'arrive. Je ne suis personne et je ne sais pas encore que je ne deviendrai jamais quelqu'un.
Vendredi est fière, elle rit de la victoire de sa fille ; les yeux baissés,
noyés dans le plat, j’ai la tristesse grosse de celle qui va trahir. Je ne peux
pas lui dire que ce bac, je l’ai aussi obtenu pour la fuir.