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Critique de Arthemyce


Cette fois, pas de note de lecture, pas d'analyse ou synthèse personnelle, juste un florilège de citations, la plupart percutantes, et donnant à voir la police de l'intérieur, notamment une équipe de la BAC d'une grande agglomération. L'étude de terrain a été réalisée entre 2005 et 2007, à une époque assez chaude, suite au décès de Zyed et Bouna, qui se sont réfugiés dans un transformateur EDF pour échapper à la police qui les poursuivait. Deux ans après, un scandale du même genre éclatait et embrasait une fois de plus les cités, harassées de subir perpétuellement l'injustice des provocations, des discriminations et des abus en tout genre.

Il n'est pas précisé si les dialogues, crus pour la plupart, sont de véridiques citations. On peut cependant penser que, étant donné le contexte à voir, on est relativement proche des discussions réelles ayant lieu au sein de la BAC étudiées par Didier FASSIN.

Hormis l'indignation permanente que suscite l'ouvrage, sans parler de la frustration ou encore de la honte (d'avoir une police aussi gangrénée), ce qui m'aura le plus marqué – pour l'avoir découvert avec surprise – ce sont les écussons de différentes BAC, tous extrêmement symboliques, offrant au choix : armes, animaux prédateurs (tigres loup…), un squelette drapé de noir et sa faux… Au début je n'y croyais pas, mais les écussons présentés sont bien les vrais, on peut les trouver sur internet.
Il m'est incompréhensible que l'État puisse tolérer ce genre de symbolique au sein de la fonction qui a normalement pour but de protéger les citoyens, non de jouer les cow-boys.

Allez, j'arrête là et je vous laisse avec quelques extraits ô combien révélateurs.

« - Ta gueule ! »

« - Tiens, les singes sont de sortie »

Zyed & Bouna, Clichy-sous-bois, 2005

« le ministre de l'intérieur déclara que les adolescents n'étaient pas poursuivi par la police et qu'ils étaient impliqués dans un cambriolage »

« - En fai, les jeunes, quand on arrive, ils courent, mais ils ne savent même pas pourquoi. […] Ça doit être une réflexe pavlovien.
- C'est peut-être le même réflexe qui fait courir la policiers pour les poursuivre. »

« L'expérience avait appris à ces jeunes qu'il ne suffisait pas d'avoir rien à se reprocher pour échapper aux contrôles, aux fouilles et, parfois, aux interpellations. »

Moushin & Laramy, Villiers-le-bel, 2007

« La violence du choc fut telle que, devant l'état du véhicule, la police affirma qu'il avait été vandalisé après l'accident. Ce que l'expertise contredira. »

« L'ancien ministre de l'intérieur, devenu président de la république, accusa, cette fois encore, les victimes. »

« - Ce qui s'est passé n'a rien à voir avec une crise sociale. Ça a tout à voir avec la voyoucratie. »

« Entre les deux, le temps d'une enquête de sciences sociales […] sur le travail quotidien des policiers et leurs interactions ordinaires avec les habitants. Quinze mois passés à patrouiller dans une grande agglomération de la région parisienne avec les forces de l'ordre. »

« Les BAC ont été créées au milieu des années 1990, dans une période où le discours sécuritaire s'imposait de plus en plus dans le monde politique. »

« En France comme ailleurs, la police se laisse difficilement observer, en particulier par les chercheurs. »

« A voir le nombre de photos de Vic MACKEY collées sur leur placard, le personnage principal de The Shield était leur héros. »

« Mes compagnons de patrouille se reconnaissaient dans leur esprit de liberté et leur image de puissance. […] Les policiers de la BAC n'aspiraient pas à en imiter les pratiques corrompues et les méthodes brutales, mais rêvaient de leur vie trépidante. Leur quotidien monotone tranchait en effet avec les récits animés qu'ils en faisaient à leurs collègues. »

« - Y nous aiment pas les bâtards. Nous on les aime pas non plus. »

« le mot bâtard était généralement le terme qu'utilisaient les policiers pour parler des habitants des quartiers populaires. »

« - C'est bon mais tu ferais bien de rester chez toi. »

« - On les contrôle, même quand ils n'ont rien fait et qu'ils n'ont pas l'air de se préparer à faire quoique ce soit. C'est illégal, mais on le fait. »

« La mission des BAC, c'est en principe de faire du flagrant délit. Mais les infractions qui se prêtent à ces interventions sont rares. »

« - C'est pas en faisant du saute-dessus qu'on fera nos quotas. »

« - le mois dernier, mon équipage a fait seulement 24 interpellations alors que le major nous en demande 30. le commissaire nous a suggéré de faire des I.L.S. et des I.L.E. pour compléter. C'est pourtant pas pour ça que je me suis engagé dans la police. »

« Beaucoup de policiers se plaignent de cette politique du chiffre. »

« - Moi, je défends mon pays ! Je me plains toujours qu'il y a trop de sans-papiers. C'est pour ça que quand je peux en arrêter un, je le fais. »

« Il n'ignore pas que l'interpellation qu'il vient de faire est illégale puisqu'elle résulte d'un contrôle décidé sur la seule apparence physique. »

« - Regarde-moi ce connard ! »

« le quotidien des policiers est bien éloigné de la représentation de leur métier telle qu'elle apparait dans les fictions et telle qu'eux-mêmes l'imaginent. »

« - T'as vu la vidéo de l'interpellation du jeune à Rouen ? Au début tout se passe bien. T'entends même le un flic vouvoyer le mec. Je me suis dit : C'est pas possible. Il a vu qu'y avait une caméra, le gars… Mais pour une fois que ça se présentait bien pour nous… Y'a l'autre flic qui dit au bâtard : Si tu continues comme ça, tu vas cramer dans un transfo comme tes potes. le con ! »

« Dans ce contexte de désoeuvrement involontaire, des faits anodins peuvent donner lieu à des réponses disproportionnées qui génèrent artificiellement de l'action. »

« - Petit merdeux, je vais t'apprendre à parler aux policiers ! »

« - Fermez vos gueules les bougnoules !! »

« Au commissariat, le jeune homme est rapidement relâché lorsqu'on se rend compte qu'il est aveugle et ne peut guère être soupçonné d'avoir participé à l'altercation initiale. A l'hôpital, où sa soeur a été conduite [après s'être fait violentée durant l'interpellation, ndlr] les médecins diagnostiquent à la jeune fille une fracture du bras et des lésions cervicales. Les quatre jeunes blessés lors de l'intervention sont placés en garde-à-vue et accusés d'outrage et rébellion, de façon à neutraliser d'éventuelles plaintes contre les policiers. Les six autres sont libérés en chaussettes au milieu de la nuit et doivent parcourir à pied les 3 kilomètres qui les séparent de leur domicile. »

« Il y a eu beaucoup d'injures racistes, auxquelles se sont ajoutées des menaces de mort. » « Aucune suite juridique ne sera cependant donnée à l'affaire. »

« C'est difficile. On est pris entre la volonté des agents de ne pas perdre la face en s'affirmant sur un territoire et le risque de mettre la cité à feu et à sang. On n'arrive pas à les retenir. »

« Parfois, une provocation permet de justifier une interpellation. »

« - Alors p'tit branleur ! On se promène ?
- On va le faire chier celui-là !
- Tu fais pas ton malin, hein, bamboula ?
- Laissez-moi tranquille !
- Alors, sale nègre, c'est comme ça qu'on parle à la police ? On va t'embarquer pour outrage et rébellion. Tu vas voir comme c'est sympa, la garde-à-vue. »

« - J'ai été convoqué six fois par la commission de discipline. Ça vaut plus la peine dans ces conditions, d'arrêter ces bâtards : ça nous attire que des ennuis ! »

« Contrairement à ce qu'on pense, les outrages et rébellions ne sont pourtant pas un signe de violence du public. Ils sont un indicateurs des provocations des policiers. Même si l'institution policière a bien conscience de cette réalité, elle ne sanctionne qu'exceptionnellement les agents concernés, ou bien elle le fait à minima.
En revanche, pour les jeunes inculpés d'outrages et rébellion, la sanction est presque systématique. Les peines de prison ferme sont fréquentes. »

« Ta gueule ! »

« - Pour qui tu te prends, p'tite crevure, de te barrer sans la permission ? [lors d'un contrôle d'identité, un jeune d'un foyer proche est parti chercher ses papiers – et est revenu les montrer, ndlr] Tu vas voir, j'vais te percer les genoux ! Non mais regarde-toi, p'tit pédé ! T'es en échec familial, t'es en échec scolaire ! [Puis il s'explique avec la directrice du foyer] Si c'est comme ça que vous vous occupez de vos bâtards, bravo ! »

« - Non, c'est bon. C'est passé. C'est tout. »

« Les jeunes n'ignorent rien de la difficulté à se faire reconnaître victimes de brutalité policière. »

« le procureur m'expliqua qu'il était exceptionnel de porter une telle attention à ce type de dossier. Ais l'une des victimes était un turc dont la photographie du visage tuméfié avait fait la une d'un quotidien de son pays. le consulat avait interpellé la préfecture et le parquet avait été saisi. »

« - Les gars, on a perdu la guerre d'Algérie y a quarante ans, on a baissé notre froc. C'est pas aujourd'hui qu'on va le baisser de nouveau. Pas de prisonnier. On trique ! »

« - Mon client est victime de son dévouement comme policier. Il n'y avait pas chez lui de volonté de vengeance, mais une volonté de justice. »

« - Condamnation des cinq agents à quatre mois d'emprisonnement avec sursis sans inscription au deuxième bulletin du casier judiciaire… Et à verser solidairement 12.000€ de dommages et intérêts à la victime. »

« La condamnation, remarquablement clémente puisqu'elle n'affectait pas les carrières des fonctionnaires, ne fut cependant pas exécutée. La victime ne reçut jamais les dommages et intérêts prononcés par le magistrat. »

« - Ta gueule ! »

« le décalage observé entre la police et la population tient en bonne part à ce que 8 agents sur 10 viennent de milieu rural ou de petites villes et que leur première affectation se fait dans des circonscriptions urbaines les plus difficiles. de plus, dans les écoles nationales de police, les enseignants leur ont souvent dressé un tableau peu favorable des quartiers populaires en recourant volontiers à un langage racialisé. […] le manque d'expérience de cet environnement et les préjugés qui s'attachent à celles et ceux qui y vivent conduisent à des tensions et des heurts entre les forces de l'ordre et les résidents des quartiers populaires. »

« - Votre premier poste sera sûrement dans une banlieue. Là-bas, c'est la jungle ! Vous allez vous retrouver chez les sauvages. […] »

« Ces tensions et ces heurts sont attisées par certains responsables politiques, dont les propos stigmatisent les habitants des cités, surtout les jeunes »

« - Vous en avez assez de cette bande de racailles ? On va vous en débarrasser. »

« C'est que le dispositif français de sécurité publique a été progressivement détourné de ses objectifs originaux. National, il devait assurer l'égalité de tous devant la loi de la république et la neutralité des forces de l'ordre placées au seul service de l'État. Mais lorsque les questions de sécurité ont été politisées à partir des années 1970, la police est elle-même devenue un instrument du pouvoir. Plutôt qu'au service des citoyens, elle se met au service du gouvernement qui, en retour, a besoin d'elle. »

« Tous les policiers ne se reconnaissent […] pas dans les pratiques de ces unités spéciales. »

« - Rejoindre la BAC, non. Ce n'est pas le genre de travail que j'aime faire. On va trop au conflit. Moi j'aime parler avec les gens. Je préfère négocier pour résoudre les problèmes. »

« - Qu'est-ce qu'il a le bâtard ? »

« - Fallait y penser avant ducon ! »

« - J'étais à deux doigt de le frapper ! »

« Les sympathies pour le leader de l'extrême-droite au sein de la brigade m'étaient déjà apparues à plusieurs reprises. A l'approche de l'élection présidentielle, les indices de xénophobie se firent toutefois plus manifestes sur les murs du bureau de la BAC [illustration de J.M. LE PEN en poster dans le bureau, ndlr]. Même le racisme s'exprimait plus ouvertement et la parole se libérait. Les tenues de certains policiers se modifièrent, et ils parcouraient les cités vêtus d'un tee-shirt noir arborant sans ambiguïté des signes de leurs affinités [ tel les chiffres « 732 » évoquant la date de la défaite des Arabes à Poitiers, ndlr]. »

« - C'est vrai, je l'ai remarqué aussi. Tous ceux de nos agents qui sont à droite, et même à l'extrême-droite sont à la BAC. Mais je ne sais pas pourquoi. »

« Aux élections régionales, plus de la moitié des forces de l'ordre avait voté pour le parti d'extrême-droite : le double de la moyenne nationale. »

« Au sein de la brigade, certains avaient toutefois progressivement pris leur distances par rapport à cette évolution. »

« - J'en pouvais plus. »

« Les défections des policiers les moins enclins à manifester leur hostilité à l'encontre des immigrés et des minorités conduisent ainsi à une concentration des agents les plus xénophobes et racistes au sein des unités. »

« - Toutes ces saloperies qu'on entendait et auxquelles on assistait ! On supportait plus. »

« Même si elles attirent un certain profil de policier, les brigades anti-criminalité ne constituent pas des ensembles homogènes. »

« - Les noirs et les arabes, moi, j'les aime pas, et si je peux les faire chier, je les rate pas. »

« Ce qui fait souvent la différence entre les uns et les autres, c'est l'environnement dans lequel ils ont grandi. Plus il diffère de celui dans lequel ils travaillent, et plus ils en ressentent d'étrangeté et même d'hostilité à l'encontre de leur public. »

« Deux grands modèles de police se sont longtemps opposés. En Grande-Bretagne, c'était le « bobby », non armé, circulant souvent à pied, bien implanté dans son environnement et respecté pour son sens civique. Aux États-Unis, c'était le « cop », toujours armé, patrouillant en voiture, entretenant peu de relations avec les habitants et redouté pour sa brutalité et son racisme. C'est ce modèle qui s'est imposé presque partout dans le monde. Cette évolution a un coût humain. En Grande-Bretagne, trois personnes sont tuées par la police chaque année. Aux États-Unis, trois meurent chaque jour dans les mêmes circonstances. Mais plus encore, peut-être, que le compte des décès, c'est le harcèlement au quotidien des classes populaires et des minorités ethno-raciales par la police et donc l'expérience des humiliations, des discriminations et des violences, qui laissent les traces plus profondes dans ces populations. »

« Aux mesures de justice sociale a donc été préféré le renforcement de l'action policière. »

« L'autoritarisme apparait ainsi comme le nécessaire complément du néolibéralisme. »

P.S. : Personnellement, je ne suis pas fan du tout du dessin, ni des traits, ni des couleurs. Ce n'est pas du tout mon style. Mais c'est largement secondaire dans le cas présent.
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