AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Apikrus


Pour vendre leurs récits de voyage, certains mettent en avant l'exploit sportif, d'autres manient l'humour, et quelques-uns misent sur leur notoriété (les noms suivent...).
En effet, pour la plupart la publication n'est pas une fin mais un moyen de financer voyages ou passion sportive, et de partager ces expériences. Ainsi, Sarah Marquis a randonné pendant 3 ans en Australie, Sibérie, Mongolie, et en Chine, et le récit qu'elle en fait (« Sauvage par Nature ») donne envie de partir sur ses traces… Les regards cyniques et ironiques de Bill Bryson et de Julien Blanc-Gras sont gages d'agréables moments de lecture. Enfin, même si je n'apprécie pas le mysticisme de Sylvain Tesson, sa notoriété n'exclut pas sa sincérité (et il n'a plus rien à prouver en matière de prouesses sportives).

Erika Fatland n'a accompli aucun exploit, n'est pas drôle, et n'est pas célèbre en France. C'est en train, bateau, avion et en automobile qu'elle a fait le tour de la Russie, le long de ses frontières via les pays voisins. La Russie jouxte 14 pays (sans compter quelques territoires séparatistes) sur 61 000 kilomètres au total. L'auteure nous raconte ses rencontres, et l'histoire de la constitution de ces frontières. Outre les lieux, nous regardons ainsi l'histoire de la Russie et celle de ses voisins. L'auteure répond aux questions quand, pourquoi et comment la frontière s'est installée là, à un endroit pas toujours "naturel". Il est donc souvent question de géopolitique et de conflits armés. Des tracés frontaliers restent contestés, et certains se déplacent (souvent selon l'adage de Jean De La Fontaine selon lequel 'la raison du plus fort est toujours la meilleure'…). Le dernier mouvement significatif date de 2014 lorsque la Russie a annexé la Crimée. Souvent des personnes croisées par l'auteure se sont retrouvées dans un pays dont elles ne partagent pas la culture, se sentant membre d'une autre nation.

Bien qu'Erika Fatland n'ait pas l'humour de Julien Blanc-Gras, le début de son livre m'a fait penser à l'excellent 'Briser la glace' de ce dernier. Tous deux décrivent des effets du réchauffement climatique sur l'Arctique. Lors de son trajet maritime d'Anadyr jusqu'à la frontière russo-finlandaise (via la mer de Bering et celles bordant le sud de l'Océan Arctique), Erika Fatland a aussi pu voir des conséquences de l'activité humaine. Et les experts nous annoncent que ce n'est pas fini…

Voici pêle-mêle quelques informations qui ont particulièrement attiré mon attention :
- l'Alaska fût vendu par la Russie aux Etats-Unis au modique prix de 4 dollars par km2 !
- l'autoritarisme du pouvoir nord-coréen est connu mais il reste surprenant de voir à quel point la population en souffre et jusqu'où est poussé le culte de la personnalité ; ainsi, l'histoire est réécrite (libération de l'occupation japonaise imputée à tort à Kim, victimes d'une catastrophe naturelle décédées en tenant un cadre avec photo de leur leader…), 10 ans de service militaire, concept du marxisme remplacé par ceux de 'kimilsungisme' et de 'kijongilisme', portraits de Kim Il Sung du mobilier urbain éclairés via un réseau électrique spécifique pour éviter les pannes…
- le club 'World's Most Travelled People' regroupe des personnes en compétition pour visiter un maximum de territoires parmi 875 territoires répertoriés : l'auteure a rencontré un membre de ce club et décrit son parcours sans jugement ; à mon avis les membres de ce club voyagent aussi stupidement que des japonais visitant l'Europe en une semaine et planqués derrière leurs appareils vidéo, sans profiter ni du voyage et ni des lieux visités (Bill Bryson aurait donné plus de relief à nous restituer une telle rencontre…) ;
- le récit de la vie d'une survivante du Ghetto de Minsk (en juillet 1941, environ 100 000 juifs y furent enfermés, lors de sa destruction en septembre 1943 les derniers juifs survivants furent envoyé au camp de Majdanek en Pologne où la plupart périrent ; sur les 100 000 juifs enfermés en 1941, moins de 3 000 auraient survécu) ;
- pendant la seconde guerre mondiale, la Finlande s'associa à l'Allemagne avant de changer de camp ; en juin 1942, Hitler vint célébrer le 75ème anniversaire du Général Mannerheim (1867-1951) ; après avoir servi l'armée tsariste (notamment en 1904 lors de la guerre russo-japonaise) celui-ci dirigea l'armée finlandaise à diverses reprises puis présida la République de Finlande de 1944 à 1946 ;
- la neutralité affichée par la Finlande pendant la guerre froide fut tellement difficile à respecter que le terme de 'finlandisation' a fini par définir une vassalisation (à l'égard du puissant voisin soviétique en l'occurrence) ;
- le succès phénoménal du film 'Emmanuelle' lors de sa première diffusion en 1987 en Estonie, 13 ans après sa sortie en France !

L'auteure a fait quelques détours intéressants :
- Pripiat, ville fondée en 1970 près de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, évacuée en 1986 après l'explosion, et aujourd'hui devenue lieu de tourisme
- la maison natale de Staline
- la maison d'enfance du Chagall, à Vitebsk (Biolorussie)
- le lieu du champ de la bataille de Poltava dans l'actuelle Ukraine, là où l'armée de Pierre le Grand battit celle de Charles XII de Suède en 1709, marquant le début du déclin de la Suède et l'arrivée de la Russie sur le devant de la scène Européenne.

C'est la référence au métier d'anthropologue en 4ème de couverture qui m'avait incité à lire cet ouvrage, dans l'attente d'une vision pertinente des moeurs des habitants des pays traversés. Je n'y ai rien trouvé d'original en la matière (hormis la neutralité de l'auteure à propos des conflits nationalistes ou ethniques dans lesquels les personnes qu'elle croise sont impliquées), mais y ai lu beaucoup d'informations intéressantes sur le passé et le présent de ces pays. Même si le contenu du livre ne correspondait pas à ce que j'en avais imaginé, cette lecture fut à la fois agréable et très instructive. En effet, les épisodes historiques présentés sont peu enseignés dans nos programmes scolaires (la guerre russo-japonaise de février 1904 à septembre 1905, qui fit plus de 150 000 morts parmi les 2 millions de soldats engagés) ou la presse occidentale s'agissant des plus récents (de multiples conflits impliquant des nations sécessionniste de l'ex Union soviétique depuis les années 1990).

De cette auteure, je lirai donc volontiers "Sovietistan, un voyage en Asie centrale" publié en France en 2014.
Commenter  J’apprécie          233



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}