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Critique de Antyryia



♫ Un jour Antyryia péta,
A A A,
Les mouches se mirent à tomber,
B B B,
L'orage a tout cassé,
C C C,
Faillit nous inonder,
A B C d'! ♪
Sur l'air d'une comptine reprenant les lettres de l'alphabet, cette chanson a fait fureur durant mon voyage scolaire en Allemagne.
J'étais un boutonneux de treize ans, pas spécialement bien dans sa peau, et les moqueries de mes soit-disant camarades qui prenaient un malin plaisir à chanter cette parodie en boucle me blessaient à chaque fois.
Jusqu'au jour où je suis rentré dans une colère noire. C'est arrivé une seule fois dans ma vie. La mauvaise personne s'est mis à fredonner ce refrain ridicule au mauvais moment.
La goutte d'eau.
Ce n'était plus moi. J'ai réagi instinctivement comme habité par une haine à l'état brut. J'ai pris en chasse le petit farceur qui a du avoir peur parce qu'il a détalé, sorti un cran d'arrêt de sa poche qu'il a lâché dans la panique.
Quand les professeurs nous ont séparés et que j'ai retrouvé mes esprits, j'avais les mains autour de son cou, apparemment désireux de le faire taire une bonne fois pour toutes.
Plus jamais je n'ai réentendu cette chanson ensuite.
Plus jamais je n'ai ressenti une telle folie furieuse.
Mais trente ans plus tard je m'en souviens encore.

Ces accès de colère impossibles à maîtriser sont au centre du nouveau roman de Claire Favan.
Certains enfant, violents dès leur plus jeune âge, isolés de leurs petits camarades, sont davantage des victimes que des bourreaux.
Avant d'évoquer Milo Léman, le principal personnage d'Inexorable, je vais rapidement vous parler d'un autre enfant, bien réel celui-ci.
Dans l'école où enseignait ma mère, un petit garçon de quatre ans avait pour principale activité de bousculer et frapper les autres élèves.
A chaque récréation, pour éviter tout nouvel incident, une institutrice le tenait donc en permanence par la main.
L'histoire a cependant pris des proportions démesurées avec une pétition signée par de nombreux parents afin que cet élément perturbateur soit purement et simplement renvoyé.
Un psychologue est intervenu.
Stigmatisé en raison de son agressivité, chaque personne extérieure ne voyait en ce gosse enragé qu'une bête à abattre.
Sans se douter que cet enfant manifestait par cette colère un grave traumatisme. Son père battait en effet sa mère régulièrement, probablement sous ses yeux.
De quoi perturber un jeune enfant et le priver de tout repère sur ce qui est bien ou mal.
Mais il n'y a jamais eu de dépôt de plainte.
Et finalement, la mère a fini par retirer son garçon de l'école.
Sa violence a-t-elle continué à éclore ? A-t-il suivi les traces paternelles ? Coincé dans l'engrenage d'une société qui n'a pas pu l'aider, et qui l'a même broyé davantage ?
Je ne pourrais pas l'affirmer, j'ignore tout de la suite de cette histoire.
Mais on ne peut pas dire que ce petit bonhomme soit parti dans la vie avec tous les atouts en main.

Claire Favan s'intéresse dans Inexorable au destin d'un garçon en grande partie similaire.
Rien ne prédisposait pourtant le petit Milo Léman à la violence.
Mais quand il a été témoin, à l'âge de quatre ans, de l'arrestation musclée de son père recherché pour différents braquages, son monde va s'écrouler et sa colère va se diriger contre le monde entier.
"Le petit garçon qu'il était quelques jours plus tôt a été remplacé par autre chose."
"Quand il n'est pas en crise, Milo est un gosse si intelligent et si attachant... Quel gâchis !"
En particulier à l'école où sa rage fulgurante se transforme en coups, dirigés contre les objets, les autres enfants, et même les enseignants. Il se transforme en brute incapable de maîtriser ce flux de haine à déverser.
"Ses pertes de contrôle sont juste le syndrome de sa souffrance."
Même sa mère Alexandra, sa seule alliée, est considérée à ses yeux comme responsable de l'incarcération de son père.

Avec des hauts et des bas, partagé entre son explosive douleur et quelques moments plus sereins, Milo continue à grandir tant bien que mal.
Il devient le bouc émissaire idéal pour chaque bêtise effectuée.
"Même quand il n'est pas là, il frappe les autres. Il est trop fort, vous ne trouvez pas ?"
Sa mère essaie de faire au mieux lorsque les crises se produisent. Mais on la sent perdue. Parfois elle protège son fils, parfois elle est totalement dépassée par les évènements, et parfois sa confiance en lui s'effrite.
"Comme elle aimerait tailler à coups de hache tout ce qui dépasse pour que son fils rentre enfin dans le moule de l'Education nationale."
Qui croire lorsque les versions de son fils et de ses enseignants diffèrent ?
Malgré sa violence, son fils ne fuit pas ses responsabilités et assume ses erreurs lorsqu'il agit dans une colère noire et aveugle.
Mais qui croire quand toutes les autres versions s'opposent à la sienne ?
Et évidemment, plus il grandira et plus la gravité des faits qu'on lui reprochera sera dramatique.

Alexandra est un personnage particulièrement bien décrit. Elle est dans une lutte constante, d'abord en apprenant qui est réellement son mari, en devenant mère célibataire, et en épaulant au mieux son fils face aux démons intérieurs qui régissent ses actes. Elle est à la fois une mère attentionnée qui aime Milo par dessus tout, qui est prête à tout pour le protéger, mais qui demeure très humaine et à laquelle il est facile de s'identifier. Il lui arrive de douter, de craquer, de penser à elle.
C'est d'ailleurs finalement davantage l'histoire de cet amour et de ce combat maternel qui nous est ici conté, plus encore que le parcours de cet enfant dépassé par ses pulsions de destruction.

Inexorable.
Rien que le titre et la couverture du roman font leur effet. Avec ces rouages qui avancent et qui broient tout sur leur passage.
Qui donnent l'impression que le destin de Milo est de toute façon tout tracé. Que rien ne pourra le dévier de sa trajectoire agressive et furieuse.
La violence peut-elle être héréditaire ?
Devenir un braqueur ou un tueur est-il inscrit dans ses gènes ?
Il y a en tout cas, mise en avant, cette notion de mal qui se propage, d'issue fatale.
"Pourtant, aujourd'hui, le destin dramatique de Milo semble tout tracé."
"Paul a l'impression que quoi qu'il dise le sort de Milo est déjà scellé."
"Jour après jour, Milo creuse sa tombe."
Les engrenages se sont mis en marche depuis la plus tendre enfance du garçon, l'entraînant dans cette colère démesurée qui ne cesse de réapparaître.
Comment faire face à ces rouages administratifs et judiciaires qui ont décidé de son futur dès que les premiers symptômes de son handicap sont apparus ?
Dommage de mettre ainsi le doigt sur d'évidents dysfonctionnements sans proposer pour autant d'alternative.
Et à quoi correspond le bout du chemin ? Dans quel état peut-on arriver au terme d'une route déjà tracée et parsemée de fils barbelés ?
L'impasse sera-t-elle forcément funeste ?

J'étais prévenu : Inexorable ne ressemblait pas aux autres romans de Claire Favan. Qualifié de roman noir davantage que de thriller, je ne peux que trouver discutable cette affirmation en me rappelant tout le malaise ressenti aux lectures du tueur intime, de dompteur d'anges et bien sûr de l'inoubliable Serre-moi fort dont la noirceur m'a procuré des frissons.
A la différence desdits romans, Inexorable prend son temps. Dans ses deux premières parties, on est peut-être davantage dans un thriller domestique à l'instar des romans de Barbara Abel. On fait connaissance de la famille Léman. On s'attache à chacun de ses membres, y compris au père, Victor, responsable pourtant par ses crimes du délitement de la cellule familiale. Malgré certaines répétitions et un aspect larmoyant, quelques rebondissements et l'écriture accessible de l'auteure permettent de suivre avec intérêt le destin tragique des Léman.
Et parallèlement, je me suis demandé où était Claire Favan dans tout ça.
Eh bien rassurez-vous, elle est bien là.
Le roman est construit avec beaucoup d'habilité et gagne progressivement en intensité. Les enjeux grandissent. le suspense croît. Bref, on ressent jusque dans le style cette marche inexorable vers une issue fatale.
Dans la seconde moitié du livre, le thriller domestique laisse place à un polar sombre dans lequel on reconnaît l'auteure qu'on aime, avec un final en apothéose.
Ca n'est pas mon roman préféré de l'auteure, mais à sa façon il me marquera lui aussi durablement.

Pour conclure, c'est bien sûr sans la moindre colère mais au contraire avec une immense reconnaissance que je souhaite remercier la huitième merveille du monde, qui m'a offert ce livre.
A l'instar d'Alexandra Léman, elle est également la maman exceptionnelle d'un petit garçon.
L'une comme l'autre ont eu à traverser bien des épreuves, sans jamais pourtant se détourner de leur rôle ou de leur amour maternel.

Tu étais impatiente de lire ma critique, eh bien la voici.
Ecrite plus particulièrement pour Toi.
Merci encore.
Pour tout.


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