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Critique de Newwavebac


Luigi Nono - Fragmente - Stille an Diotima - Laurent Feneyrou.

Attention, oeuvre de haut-vol ! Un musicologue parle à des musicologues (mais pas seulement j'y reviendrai) et entreprend l'exégèse complète d'une oeuvre de Luigi Nono, un des grands compositeurs du XXème siècle, représentant éminent de l'école Italienne (avec Dallapicola, Maderna et quelques autres). L'oeuvre, c'est Fragmente-Stille an Diotima, oeuvre de commande, créée en 1980 à Bonn donc en Allemagne de l'Ouest.

Nono, né en 24 et mort en 1990, a frayé avec l'extrême gauche au moment des Brigades rouges et du communisme florissant. Vuillermoz, dans son ouvrage d'histoire de la musique, lui rend hommage, tout en indiquant qu'il a quitté quelque part la musique pour la mettre au service de ses causes. « Italie, années 70. le fond de l'air est rouge » indique l'auteur.

L'analyse de Feneyrou part d'abord des origines de l'oeuvre : en particulier Kafka et la poésie de Hölderlin, écrivain allemand du XVIIè-XVIIIè siècle (il meurt en 1843) dont Fragmente… est un « florilège ».

Feneyrou rentre dans les détails des reprises de Nono de l'oeuvre de Hölderlin, et il faut sans doute être autant philosophe que musicologue pour comprendre toutes les nuances indiquées. Mais cela reste passionnant et on imagine le travail de compilation, recherche et analyse pour arriver à ce résultat.

Ensuite Feneyrou nous explique qui était Diotima, surnom de Suzette Gontard, amoureuse secrète de Hölderlin et mère de l'un de ses élèves. le surnom Diotima vient du Banquet de Platon. Elle meurt en 1802 alors que Hölderlin est déjà parti devant cet amour impossible.

L'analyse de l'oeuvre suit cette grande introduction, d'abord en partant des conférences faites par Nono à Darmstadt en 1960 et qui théorise son rapport au chant et au texte. Puis en précisant les instructions passées au Quatuor LaSalle, qui va créer Fragmente…

Enfin, l'oeuvre elle-même est analysée. Nono est un héritier de la 2ème école de Vienne (que Feneyrou appelle « École de Vienne » comme si Mozart, Schubert et Beethoven n'avaient jamais existé…et même si le Fragmente…fait des allusions à Beethoven d'après l'auteur), donc de Schoenberg, mort en 1951 et de Webern. Mais Nono est proche aussi de Hermann Scherchen, le grand chef d'orchestre, proche des sérialismes (mais aussi de Xenakis dont il a créé plusieurs oeuvres).

Intéressant l'évocation de la scala enigmatica, créée en 1888, mis en avant par Scherchen ainsi que le « Malor Me Bat » et qui orienteront l'interprétation de Fragmente…La scala enigmatica a été utilisé dans le début de l'Ave Maria de Verdi.

L'ouvrage oscille entre un hermétisme certain (ainsi même le titre ne laisse pas envisager que l'ouvrage est en français, ce qu'un sous-titre aurait permis de décoder) et une volonté pédagogique forte (ainsi les encadrés sur le quatuor LaSalle, Scherchen ou Maderna). Quand l'ouvrage fait oeuvre de pédagogie, il devient assez passionnant, notamment autour de la rencontre avec Maderna et de leur histoire commune.

C'est ensuite l'analyse de l'oeuvre proprement dite avec ses caractéristiques (ainsi des passages en ppppp et en sffff…les musiciens comprendront). Cette partie est de haute voltige (analyse mathématique des hauteurs et des matrices rythmiques et structures diastématico-rythmiques) et s'adresse à des musicologues avertis (même plus qu'à des musiciens). J'avoue que mes trois années de solfège n'ont pas été suffisantes pour tout comprendre mais c'est de mon seul fait.

A partir de la page 183, il faut écouter l'oeuvre en même temps que lire ce qu'en écrit l'auteur. Et cela devient très intéressant (toujours avec un bagage musical certain mais vous l'aurez compris…). de nombreuses reproductions de la partition permettent de suivra aisément les explications, l'auteur ayant été jusqu'à interviewer les musiciens du quatuor. On peut d'ailleurs regretter que ces interviews soient trop éparses, elles auraient permis de donner un peu de « respiration » aux explications parfois en vase clos de l'auteur. Il va jusqu'à citer un poème de Baudelaire à propos du mot « mirage » qu'utilise Nono dans son texte.

Nono utilise des quarts de ton dans son oeuvre, ouvrant tout le champ des possibles et à l'instar d'un Charles Ives (que ne cite pas d'ailleurs Feneyrou), le modèle de Nono étant plutôt Bartok.

Après la première partie, Feneyrou analyse la seconde partie en la triturant dans tous les sens, et en réfutant le terme de mosaïque pour cette oeuvre, lui préférant le terme d'archipel, emprunté là aussi à Hölderlin.

Le livre de Feneyrou se mérite donc. Un conseil (que je n'ai pas suivi) : lire la conclusion avant toute chose, car elle est claire, résume bien les intentions de l'auteur et aurait mérité d'être en introduction…

Un livre d'expert pour des experts, ce que je ne suis pas tout à fait. Mais merci à de tels livres d'exister, en imposant aux lecteurs des efforts, une exigence bien loin du zapping de nos sociétés modernes…

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