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Philippe Albèra (Autre)
EAN : 9782940068623
280 pages
Contrechamps (19/11/2021)
3.83/5   3 notes
Résumé :
Luigi Nono (1924-1990) est l'un des compositeurs les plus importants de l'après-guerre. Aux côtés de Boulez et de Stockhausen, il participe à une véritable reconstruction de la musique en s'appuyant sur l'héritage sériel de l'école de Vienne. Sa singularité au sein de l'avant-garde musicale de l’époque tient à ses engagements éthiques et politiques, qui le conduisent à adhérer au Parti Communiste Italien, dont il devient une figure dominante. Ses œuvres se veulent «... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Luigi Nono - Fragmente - Stille an Diotima - Laurent Feneyrou.

Attention, oeuvre de haut-vol ! Un musicologue parle à des musicologues (mais pas seulement j'y reviendrai) et entreprend l'exégèse complète d'une oeuvre de Luigi Nono, un des grands compositeurs du XXème siècle, représentant éminent de l'école Italienne (avec Dallapicola, Maderna et quelques autres). L'oeuvre, c'est Fragmente-Stille an Diotima, oeuvre de commande, créée en 1980 à Bonn donc en Allemagne de l'Ouest.

Nono, né en 24 et mort en 1990, a frayé avec l'extrême gauche au moment des Brigades rouges et du communisme florissant. Vuillermoz, dans son ouvrage d'histoire de la musique, lui rend hommage, tout en indiquant qu'il a quitté quelque part la musique pour la mettre au service de ses causes. « Italie, années 70. le fond de l'air est rouge » indique l'auteur.

L'analyse de Feneyrou part d'abord des origines de l'oeuvre : en particulier Kafka et la poésie de Hölderlin, écrivain allemand du XVIIè-XVIIIè siècle (il meurt en 1843) dont Fragmente… est un « florilège ».

Feneyrou rentre dans les détails des reprises de Nono de l'oeuvre de Hölderlin, et il faut sans doute être autant philosophe que musicologue pour comprendre toutes les nuances indiquées. Mais cela reste passionnant et on imagine le travail de compilation, recherche et analyse pour arriver à ce résultat.

Ensuite Feneyrou nous explique qui était Diotima, surnom de Suzette Gontard, amoureuse secrète de Hölderlin et mère de l'un de ses élèves. le surnom Diotima vient du Banquet de Platon. Elle meurt en 1802 alors que Hölderlin est déjà parti devant cet amour impossible.

L'analyse de l'oeuvre suit cette grande introduction, d'abord en partant des conférences faites par Nono à Darmstadt en 1960 et qui théorise son rapport au chant et au texte. Puis en précisant les instructions passées au Quatuor LaSalle, qui va créer Fragmente…

Enfin, l'oeuvre elle-même est analysée. Nono est un héritier de la 2ème école de Vienne (que Feneyrou appelle « École de Vienne » comme si Mozart, Schubert et Beethoven n'avaient jamais existé…et même si le Fragmente…fait des allusions à Beethoven d'après l'auteur), donc de Schoenberg, mort en 1951 et de Webern. Mais Nono est proche aussi de Hermann Scherchen, le grand chef d'orchestre, proche des sérialismes (mais aussi de Xenakis dont il a créé plusieurs oeuvres).

Intéressant l'évocation de la scala enigmatica, créée en 1888, mis en avant par Scherchen ainsi que le « Malor Me Bat » et qui orienteront l'interprétation de Fragmente…La scala enigmatica a été utilisé dans le début de l'Ave Maria de Verdi.

L'ouvrage oscille entre un hermétisme certain (ainsi même le titre ne laisse pas envisager que l'ouvrage est en français, ce qu'un sous-titre aurait permis de décoder) et une volonté pédagogique forte (ainsi les encadrés sur le quatuor LaSalle, Scherchen ou Maderna). Quand l'ouvrage fait oeuvre de pédagogie, il devient assez passionnant, notamment autour de la rencontre avec Maderna et de leur histoire commune.

C'est ensuite l'analyse de l'oeuvre proprement dite avec ses caractéristiques (ainsi des passages en ppppp et en sffff…les musiciens comprendront). Cette partie est de haute voltige (analyse mathématique des hauteurs et des matrices rythmiques et structures diastématico-rythmiques) et s'adresse à des musicologues avertis (même plus qu'à des musiciens). J'avoue que mes trois années de solfège n'ont pas été suffisantes pour tout comprendre mais c'est de mon seul fait.

A partir de la page 183, il faut écouter l'oeuvre en même temps que lire ce qu'en écrit l'auteur. Et cela devient très intéressant (toujours avec un bagage musical certain mais vous l'aurez compris…). de nombreuses reproductions de la partition permettent de suivra aisément les explications, l'auteur ayant été jusqu'à interviewer les musiciens du quatuor. On peut d'ailleurs regretter que ces interviews soient trop éparses, elles auraient permis de donner un peu de « respiration » aux explications parfois en vase clos de l'auteur. Il va jusqu'à citer un poème de Baudelaire à propos du mot « mirage » qu'utilise Nono dans son texte.

Nono utilise des quarts de ton dans son oeuvre, ouvrant tout le champ des possibles et à l'instar d'un Charles Ives (que ne cite pas d'ailleurs Feneyrou), le modèle de Nono étant plutôt Bartok.

Après la première partie, Feneyrou analyse la seconde partie en la triturant dans tous les sens, et en réfutant le terme de mosaïque pour cette oeuvre, lui préférant le terme d'archipel, emprunté là aussi à Hölderlin.

Le livre de Feneyrou se mérite donc. Un conseil (que je n'ai pas suivi) : lire la conclusion avant toute chose, car elle est claire, résume bien les intentions de l'auteur et aurait mérité d'être en introduction…

Un livre d'expert pour des experts, ce que je ne suis pas tout à fait. Mais merci à de tels livres d'exister, en imposant aux lecteurs des efforts, une exigence bien loin du zapping de nos sociétés modernes…

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Quand Luigi Nono (1924-1990) compose ce quatuor à cordes, à la toute fin des années 1970, il incarne, aux yeux de la critique, la figure de l'artiste engagé, dans le sillage de Jean-Paul Sartre et de "l'intellectuel organique", tel que l'avait théorisé le communiste Antonio Gramsci.
Cette oeuvre cependant marque une césure profonde, sinon un tournant, lequel décontenance la critique militante, communiste.
C'est surtout une attention au faible, à l'infime, à la dislocation, dès lors que son art se donne sous la forme de la disparition.
Il expérimente des couleurs instrumentales, des modes de jeu, plus ou moins instables, des techniques d'archet, placements et pressions, des cordes à vide avec leurs intervalles de quinte, des sons, isolés ou combinés, des micro-intervalles.
Mais c'est surtout l'onirisme qui retient l'attention de Nono et qui peut expliquer l'association, dans l'une des esquisses, du nom de Kafka à des sons harmoniques éthérés, flottants.
La substitution de Hölderlin à Kafka marque la sortie du désespoir et l'aube. Hölderlin, non le chantre de la patrie qu'en avaient fait les nazis, mais le poète fasciné par la Révolution française.
Mais chez Nono, le politique s'exprime moins philosophiquement que sur scène, dans une situation théâtrale.
c'est d'une étude de Roman Jakobson que Nono tire des éléments au croisement de la psychiatrie, de la linguistique et de la poétique. La section consacrée à la "Technique verbale et linguistique de la schizophrénie". Nono récuse le diagnostic de schizophrénie pour Hölderlin. Hölderlin n'était pas fou mais fuyait la société.
Fragmente-Stille, an Diotima: Une
phrase de Heidegger retiendra alors l'attention de Nono:
"still" bedeutet gestillt, zur Ruhe gekommen, Or, still désigne le
paisible ou le calme, l'immobile, le secret, le silencieux. Gestillt, c'est donc avoir rendu le son au silence, l'avoir "ensilencé"

Il ne s'agit pas porter la musique aux fragments poétiques, ou vice versa. Non l'assimilation grossière jusqu'au parallélisme de la mélodie, de la dynamique ou du tempo aux traits du verbe, mais ce que l'oeuvre en soi donne, car sa valeur ne tient ni à son texte, ni à la fidélité de sa traduction musicale. En quoi le texte est-il nécessaire à la pleine
compréhension de l'oeuvre musicale?

Nono s'oppose à une détermination uniment mathématique, et en dernière instance sommairement
arithmétique, du discours, condamnant la réduction de
l'oeuvre schoenbergien ou wébernien à ses seules structures dodécaphoniques. Nono insistant sur l'exigence de rompre le discours, de surprendre et de suspendre la continuité, donner à chacun des sons sa singularité, souvent impure, hybride, faite de hauteur et de bruit impliquant les matériaux de l'archet ou des parties de l'instrument. Il insistait encore sur la nécessité de ne plus écrire pour des instruments, mais de privilégier la bande magnétique. le microphone, sorte de microscope acoustique, y
deviendra un instrument à part entière. Avec l'harmonizer, Nono transmettra simultanément un signal tel quel, à l'instrument ou à la voix, et transposé par l'électronique vers le grave ou l'aigu, le plus souvent en micro-intervalles, au quart de ton inférieur ou supérieur.
Le "delay", comme une rétention du son, maintiendra le signal et en concentrera les stratifications jusqu'à seize voix.
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J'ai découvert tout un monde grâce à cette belle étude en format poche de l'une des oeuvres importantes du compositeur Luigi Nono. Si toute la partie consacrée à l'analyse proprement musicale fut pour moi totalement inféconde faute d'une connaissance suffisante des règles musicales, la rigueur intellectuelle de Feneyrou et le soin qu'il porte à ne rien omettre du contexte et des conditions de production de l'oeuvre grâce à un impressionnant travail sur les archives, m'ont permis de me rapprocher de l'univers de la musique contemporaine et de celui, humaniste et poétique, de Luigi Nono en particulier.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Ce que Nono a ainsi induit, c'est un renouvellement de l'écoute, dont la musique de notre temps n'a encore épuisé ni la portée ni la valeur esthétique et éthique. Cette écoute donne voix aux visages du monde qui nous environne immédiatement - c'est une "écologie de l'écoute". Nous écoutons une salle de concert, mais aussi, plus largement, un lieu, sinon une ville et avant tout, pour Nono, Venise, où le son se propage sur l'eau et dans le dédale de ses architectures.

P. 293, Contrechamp Poche (2021)
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Video de Laurent Feneyrou (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Laurent Feneyrou
Des élans de Kreuzspiel aux derniers feux de Klang, l'œuvre de Karlheinz Stockhausen se révèle titanesque. Le musicologue Laurent Feneyrou en présente toutes les facettes (Philharmonie de Paris, 22 janvier 2016).
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