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Critique de Rodin_Marcel


Ferrante Elena (pseud) – "L'amie prodigieuse, IV – L'enfant perdue" – Gallimard, 2018 (ISBN 978-2-07-269931-3) – Traduit de l'italien par Elsa Damien, publié en italien en 2013 sous le titre "Storia della bambina perduta (l'amica geniale, volume quarto)"

Après avoir lu et apprécié les trois volumes précédents, ce quatrième tome – annoncé comme clôturant la sage – m'a plutôt déçu.

Ce dernier volume est encore plus précisément daté que les précédents, et ce, dès la première phrase "à partir du mois d'octobre 1976 et jusqu'en 1979..." Par la suite, le texte contient souvent des dates précises, ou des allusions à des évènements facilement datables (élections locales, attentat de New-York du 11 septembre 2001 etc), et se termine quelques années après l'hiver 2002.

D'un point de vue littéraire, le récit n'est plus porté par cette qualité de narration qui – dans les trois volumes précédents – emportait le lecteur d'un bout à l'autre : d'une part la narration s'enlise souvent (surtout en ce qui concerne le personnage de l'amie prodigieuse, Lina Cerullo) dans des considérations de type "psychologie des profondeurs" caractéristiques des revues de salon de coiffure, d'autre part l'auteur introduit un évènement dramatique (la disparition d'une enfant, d'où le sous-titre) dont l'intrigue ne bénéficie en rien, de sorte qu'il apparaît fort peu convaincant.
Par ailleurs, les personnages deviennent trop caricaturaux. Ainsi, parmi les personnages principaux, tous les hommes sont (mode actuelle oblige) soit des crétins diminués (le fils de Lina par exemple cf p. 450), soit de beaux salauds (les Solara), soit des muets (le compagnon de Lina, qui ne serait bien évidemment qu'un exécutant) ; curieusement, le seul personnage masculin positif s'incarne une fois de plus dans l'ancien mari, Pietro Airota, qui n'occupe qu'un rôle secondaire de roue de secours permanente. Inversement, Lina devient par moment une sorte de Zorro terrorisant et manipulant tout le quartier ; quant aux autres femmes, ce ne sont que des potiches, n'ayant pour rôle que de faire ressortir la "brillante réussite" de la narratrice, jusqu'à la nausée.

C'est qu'en effet, la narratrice s'auto-congratule copieusement et fréquemment (avec quelques passages de critiques acerbes proférées par les autres personnages – principalement Lina – pour mieux faire ressortir ce qu'elle présente comme ses grandes qualités), alors que le récit qu'elle tresse elle-même montre à longueur de pages combien elle pourrit la vie de ses filles (qui s'enfuient chez leur père ou leurs grands-parents dès qu'elles le peuvent) et de son entourage : il y a là une incohérence dans le récit qui finit par s'avérer gênante.

Finalement, ce texte est moins un roman qu'un témoignage à peine romancé sur ce que fut la vie de femmes typiques de cette époque, sorties d'un milieu social défavorisé, mais ayant "réussi" (elle le répète à satiété), par le biais d'une bonne scolarité et un mariage prestigieux, à se glisser dans la bonne société "de gôôôche".
L'auteur trace cependant un portrait tellement caricatural que j'en reste perplexe. Ainsi par exemple, pendant toute le première moitié de ce copieux roman, la narratrice accepte le rôle de maîtresse et épouse secondaire de Nino Sarratore (p. 124) ; en France, la gôôôche caviar a eu son Strauss-Kahn/Dodo-la-Saumure et autres "libertins", et j'ai moi-même croisé dans ces années-là trois féministes enragées qui partageait la vie de sales types machistes effarants (mais de gôôôche – l'une d'elle acceptait même des fonctions masochistes effrayantes), mais tout de même, cette liaison de la narratrice Lenu Greco semble quelque peu caricaturale.

Pourtant, elle semble consciente de la caractéristique principale de ces intellectuel(le)s capables de proférer les plus beaux discours "z'humanistes" tout en se comportant comme des sagouins dans la vie réelle (p. 306 "je voulais qu'elle sente que j'appartenais à l'élite tout en m'en distinguant" – rien de moins ! re-belote p. 336), mais elle-même se comporte finalement tout à fait comme elles et eux, utilisant les autres à sa guise surtout lorsque l'envie lui prend de se débarrasser de ses propres filles pour courir les plateaux de télévision et jouir de sa "célébrité" dont elle nos rebat les oreilles.

Mieux encore, vers la fin, elle semble prendre conscience de la viduité complète de ces discours dont ces intellectuel(les) nous ont saoulés pendant des décennies, pour finir par s'en soûler seul(e)s sans se rendre compte que plus personne n'y attachait la moindre importance (cf p. 82, 177, 388, 492, 530).
Elle finit même par découvrir les ravages causés par la drogue (p. 188) mais qu'importe puisque ça ne concerne que les sales gens de son sale quartier d'origine. Elle serait même parfois effleurée par un doute, en rejetant la responsabilité sur son ex-mari (p. 480) qui sert décidément de rustine permanente bien pratique, mais se console car ses filles font de brillantes carrières d'arrivistes (p. 388).

Cette narratrice finit par donner la nausée, c'est peut-être l'intention de l'auteur.
le sous-titre semble erroné : ce n'est pas seulement une enfant qui a disparu, ce sont tou(te)s les enfants de ces intellectuel(le)s soixante-huitard(e)s qui ont copieusement morflé...
Un roman d'une férocité extrême, quelque peu caricaturale. Les soixante-huitardes n'ont pas toutes – loin s'en faut – sombré dans de telles sottises et une telle auto-satisfaction.

Pour vous remettre de la sale impression que laisse cette lecture, je vous recommande treize minutes de pure perfection, avec Sandrine Piau dans le rôle d'Alcina :
https://www.youtube.com/watch?v=PobXNh2gt1Y
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