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Critique de Eric75


N'en doutons pas, la parution de ce 35ème album des Aventures d'Astérix est un événement. Pour la première fois, un album d'Astérix est presque – je dis bien presque car Uderzo se serait chargé du dessin d'Obélix sur la couverture – réalisé sans intervention du couple géniteur du petit Gaulois. Celui-ci, désormais émancipé et libre, peut donc ouvrir toutes grandes les portes de ses nouvelles aventures, remplir sa gourde de potion magique, remonter ses braies d'un air bravache et s'aventurer vers de nouveaux horizons, encore inexplorés, où tout est encore possible.

Le pari était audacieux et risqué, car après le naufrage des derniers numéros, redresser la barre plombée par Uderzo et tenter de relever le mythe de la bédé franco-belge au niveau de la grande époque de Goscinny était une gageure. Alors, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad ont-ils réussi ? L'Armorique n'étant jamais très loin de la Normandie, je me permets une réponse de Normand : p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non… Il ya du pour et du contre. Faisons le tri.

J'ai apprécié la tonalité générale de l'histoire, le choix de renouer avec la tradition des albums faisant voyager nos deux héros, le comique de situation, les personnages et les paysages, les caricatures et les traditionnels calembours. Quelques scènes panoramiques sont assez bien réussies comme la scène d'ouverture montrant le village sous la neige, on n'avait pas vu ça depuis Astérix et Cléopâtre (page 5), le débarquement des légions romaines en Calédonie (page 20) ou le point de vue sur le village picte et le château écossais au bord du loch, souligné par un « pictogramme » digne des cartes Michelin (page 25). L'humour des précédents albums est le plus souvent respecté, si ce n'est imité, comme le recours aux caricatures de personnalités, ici Vincent Cassel et Johnny Hallyday, dignes successeurs des Bernard Blier, Kirk Douglas, Sean Connery et autres Beatles.

Ces bonnes idées ne suffisent cependant pas à occulter quelques fausses notes et un certain manque d'ambition, comme si les auteurs, tétanisés par l'enjeu qui leur a été fixé, avaient retenu leur talent par crainte d'en faire trop, se cantonnant dans l'imitation sans oser la création, restant timorés de peur de dépasser leurs impressionnants modèles.

On peut en effet déplorer quelques jeux de mots sans finesse, une intrigue trop simpliste, une satire sociale et politique embryonnaire, et même, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là, un manque de finesse dans la précision du dessin. In cauda venenum. Ça commence à faire beaucoup ! Un peu de patience, je vais argumenter par Toutatis !

Des jeux de mots souvent sans finesse (« taphone », « borborythme », page 14), et même parfois incompréhensibles (« Je n'aime pas les pommes », page 28) ou pesamment soulignés (« On dit aujourd'hui pots de vin », page 39).

Une intrigue trop simpliste. Astérix et Obélix ne sont plus les locomotives de l'action, ils agissent peu, ils se comportent comme de simples touristes visitant un pays étranger, en voyage organisé. On aurait aimé une intrigue davantage recentrée sur la prise de pouvoir du terrifiant Mac Abbeh, s'appuyant sur un vrai enjeu dramatique et, in fine, une réelle course contre la montre. L'énorme Afnor fait de la figuration et aurait pu être davantage exploité. La visite dans l'antre du monstre est… grotesque ! Les différentes péripéties autour de la gourde d'élixir sont indigentes et inutiles. Cette gourde aurait pu être l'un des enjeux du scénario, si elle avait été remplie de potion magique, tant convoitée par les Romains, et servir d'arme secrète livrée aux Pictes. le petit fonctionnaire Numerusclausus chargé du recensement aurait pu être un espion à la solde des Romains, ainsi mis au courant du dessein des Gaulois, etc. Que d'occasions manquées ! On retrouve cette inutile gourde à la fin et Astérix se contente de la rejeter à la mer !

Les disputes beaucoup trop fréquentes entre Astérix et Obélix sont sans réelle justification dans le présent scénario et procèdent plus d'une copie maladroite de scènes présentes dans d'autres albums.

Une satire sociale et politique embryonnaire, alors qu'elle est omniprésente dans la plupart des albums. La guerre des clans, le processus électoral, le droit d'asile, la trahison et le pacte conclu avec l'ennemi, tout cela est évoqué mais ne sert pas vraiment l'action sauf sur deux pages. Les romains font figure de faire-valoir et auraient pu avoir un rôle politique bien plus important.

Le manque de finesse dans la précision du dessin. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le rendu des vagues figurant dans cet album (page 6) avec celui d'autres albums comme La grande traversée ou Astérix et les Normands. Comparé à celui d'Uderzo, le trait de Conrad se fait moins précis, plus saccadé. Par ailleurs, l'absence d'expressivité des visages, les postures maladroites, trahissent le changement de dessinateur et se vérifient notamment chez Astérix, un comble.

Malgré ces défauts, ce « premier album » repositionne la série sur une voie prometteuse. Uderzo ne voulait pas qu'Astérix lui survive, puis il a changé d'avis. Conscient du fiasco des précédents albums et de l'accueil mitigé du public (c'est le moins que l'on puisse dire), Uderzo a décidé de passer la main, et il a eu raison. L'univers d'Astérix offre encore un potentiel énorme. La tâche de ses successeurs n'est pas facile. La difficulté est de contenter de façon équilibrée un double lectorat : adulte (les jeux de mots, les références et allusions) et enfant (le comique de situation, la répétition de scènes convenues : les éternelles bagarres avec les romains, le banquet final...). On espère tous que Ferri et Conrad vont réussir cela. Après tout, les successeurs d'E.P. Jacobs ont bien réussi, avec brio, à poursuivre les aventures de Blake et Mortimer, ce qui n'était pas gagné d'avance !
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