Ma vie cachée

- Je ne crois pas en Dieu, ai-je lâché du tac au tac. S'il existait , il ne laisserait pas toutes ces horreurs arriver. Un Dieu qui laisse les gens souffrir ou se faire du mal les uns aux autres ? Ça n'est pas un dieu, mais un sadique.

-Jimbo et Billy John, c'est leurs vrais prénoms ?
-Bienvenus dans le Nebraska.

– Tout le monde a des secrets, a-t-il dit, sans répondre à ma question.
– Est-ce que les tiens te rongent ? Est-ce qu’ils te réveillent la nuit ?

- J’ai toujours vécu à Thunder Basin. C’est chez moi. J’aime cet endroit. Mais je vois bien que ce n’est pas ton cas. Ça te regarde. Mais avant de porter un jugement définitif sur cette ville et ses habitants, j’aurais aimé que tu lui laisses une chance.

Je me suis mordu la lèvre pour réprimer un sourire.

— Et moi, j’aimerais que tu voies la tête que tu fais en ce moment. Tu as l’air tellement… sérieux.

— J’espérais plutôt un qualificatif comme sexy, charmant, désarmant, beau, ou les quatre à la fois.

— Pour ça, tu devras d’abord balancer ton chapeau de cow-boy.

-Je ne veux pas aller faire un tour avec toi parce que ça ne me semble pas juste vis-a-vis de ton copain. J'ai été assez clair sur mes intentions, sur le banc du parc, la semaine dernière. Je veux être plus que ton ami. Je ne pense pas pouvoir rester près de toi sans continuer a souhaiter ça. Je t'apprécie trop, Stella, pour ne pas être honnête. Je ne savais pas que tu avais un copain. Si je l'avais su, je ne me serai pas comporté comme ça. Je n'aurais pas insisté pour aller plus loin. Je crois que c'est mieux si je te laisse tranquille.

-Je suis désolée d'avoir pris votre voiture. Je ne recommencerai plus.

-Regarde moi quand quand tu me parles.

-J'ai dit que j'étais désolée, ai-je lancé. Qu'est-ce que vous voulez de plus?

-Demain matin, tu viendras avec moi a l'église.

Je lui ai lancé un regard dur. J'avais eu tord de prendre sa voiture et je m'étai excusée. Le problème était réglé, pas question de la laisser profiter de la situation pour qu'elle exerce son autorité sur moi. Elle n'était pas ma mère. Juste un pion dans le plan qu'avait échafaudé la justice pour me couvrir.

-Je n'irai pas a l'église.

-Je te garanti que si.

Je les ai regardés à tour de rôle. Ils m’observaient avec un sourire forcé. Un vertige m’a saisie et j’ai cligné des yeux à plusieurs reprises pour me ressaisir. Les bottes rouges de la femme ont commencé à tournoyer comme dans un kaléidoscope et tout à coup, je me suis retrouvée à Philadelphie, chez nous. Un homme en sang étendu sur le sol de notre bibliothèque, le mur derrière lui maculé de morceaux de chair humaine. J’ai senti le poids de la tête de ma mère sur mes genoux et les sanglots hystériques qui montaient dans ma gorge. J’ai entendu les sirènes des voitures de police remonter la rue, et mon pouls battre à mes oreilles.

J’ai observé par la vitre la route en ligne droite, bordée de chaque côté de buissons qui se dressaient comme des murets autour de moi. J’avais l’impression d’être une fourmi sous un verre. Suffocante, désespérée, condamnée.

Même si je considérais Thunder Basin comme une prison où j’allais croupir pendant trois mois, je savais que dans toute cellule, il y a des miettes de liberté. Une apparition fugace du ciel bleu, le chant d’un oiseau sur le rebord de la fenêtre. Dans mon cas, le fait de ne pas avoir à me préoccuper de ma mère était un soulagement. Finalement, cette ville me donnerait peut-être la chance de respirer ?

À Philadelphie, la tombée de la nuit signifiait m’inquiéter pour ma mère, savoir avec qui elle était, ce qu’elle était en train de faire et si j’allais devoir partir à sa recherche. Je suis restée un moment sans bouger, observant avec crainte cette obscurité nouvelle. Mais elle était si calme, si simple, si belle… c’était absurde d’en avoir peur. L’air chaud caressait ma peau. Un parfum frais et végétal flottait autour de moi. L’obscurité dessinait un paysage d’ombres apaisant après le soleil impitoyable de la journée.