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Critique de Luniver


Un jeune provincial arrive à Paris, des rêves pleins la tête, des appuis là où il faut, un pécule non négligeable, des ambitions vagues mais qui seront à n'en pas douter à la hauteur de ses talents, des convictions politiques révolutionnaires en acier trempé, et un meilleur ami avec lequel il a tout partagé. Cerise sur le gâteau, notre héros vit LE coup de foudre, celui qui n'arrive qu'une seule fois dans la vie ; pour une femme mariée certes, et très vertueuse, mais enfin, à coeur vaillant rien d'impossible.

Alors, comment se fait-il qu'avec autant d'atouts dans son jeu, notre Frédéric parvient à échouer sur tous, mais absolument TOUS, les tableaux ? Avec des décisions molles dictées surtout par la lâcheté, des sollicitations abandonnées sans réelle raison à mi-chemin, notre héros commence tout, hésite, revient sur ses pas, hésite encore, revient sur sa première idée, et finit par ne rien réaliser du tout. Tout le monde avance autour de lui, et, perdu dans ses atermoiements, il finir par se retrouver tout seul derrière.

Son comportement avec les femmes est particulièrement démonstratif : en plus de son coup de foudre de jeunesse, qui semble petit à petit partager ses sentiments, Frédéric a également l'opportunité d'avoir une liaison avec une courtisane en vue qui accroîtrait son prestige sociale, et sa campagne natale abrite une jeune fille de bonne famille qui n'a d'yeux que pour lui et ne rêve que d'un mariage, certes moins prestigieux vu de Paris, mais qui lui garantit un bonheur simple et tranquille (tout de même, y en a qui ne se refusent rien). À force de faire patienter l'une en attendant de voir si la situation avec la deuxième se débloque, et de s'afficher avec la troisième pour provoquer la jalousie de la précédente, il finit par les perdre toutes les trois (et il le mérite bien).

Les rêves de jeunesse en prennent pour leur grade dans ce roman. Ceux de la bourgeoisie tout du moins : recevant tout sans effort, Frédéric copie imperceptiblement tous les codes d'une société qu'il rêvait de bouleverser quelques années auparavant. Ce qui donne des moments particulièrement gênants, quand il reçoit ses anciens amis, toujours impliqués dans des mouvements révolutionnaires et risquant leur peau, ou, au minimum, de gros ennuis avec la police, dans un salon du dernier chic. Tout en se vexant de la fin de non-recevoir qu'on lui oppose quand le vent tourne enfin du côté de ses anciennes idées.

Je me serais sans doute beaucoup ennuyé si j'avais dû ouvrir ce livre dix ans plus tôt. Mais me trouvant à un moment de ma vie où je me retrouve coincé entre mes rêves de jeunesse et le confort de ma vie actuelle, où j'hésite entre verser une cotisation pour une association venant en aide aux enfants défavorisés ou un remboursement pour l'achat d'un coupé-sport, entre passer mon temps à donner un coup de main pour l'accueil des migrants ou partir trois semaines dans un hôtel all-inclusive au Maghreb, je me rends compte que mon processus de Frédéricisation est déjà bien entamé. L'ironie de Flaubert, sa façon de disséquer les petites lâchetés quotidiennes qui nous éloignent insensiblement du chemin qu'on s'était tracé, est alors particulièrement mordante. Pour me donner un choc, je l'espère, salutaire.
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