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Critique de Glaneurdelivres


D'emblée, dès le début de ce roman, on s'immisce dans le milieu carcéral russe, en écoutant le narrateur nous expliquer les conditions de sa détention en prison dans la région de Moscou en 2018.
« Ma tête est un bourdon et un acouphène a pris toute la place dans mes oreilles. Quand on nous hurle dessus, je comprends à peine ce qui se dit. Je n'ai jamais dressé d'animal mais ce qu'ils font avec nous y ressemble. »
On apprend que le détenu est un jeune homme qui a une double nationalité. Il est russe et français.
Il a été accusé de nombreux vols alors qu'il vivait comme un ermite au sein de la forêt, pendant une longue période… Mais qu'a-t-il volé ? Y a-t-il été contraint ? Pourquoi a-t-il vécu loin de tout, dans la forêt ? En tout cas, le détenu, Ivan, est décidé à avouer ses fautes lors de son procès à venir…

Ivan se souvient de sa mère russe, sa « Mama », qui l'a élevé seule, dont le travail était de traduire et de sous-titrer des films. (Ca m'a fait sourire car cette fonction est aussi une partie de la profession de Katia Flouest elle-même, comme quoi un.e auteur.e met souvent beaucoup de soi dans ses livres.
Et l'auteure n'hésite pas à insérer dans le récit, des mots russes écrits en caractères cyrilliques, et des mots russes écrits en caractères latins tels qu'ils sonnent à l'oral).
On apprend que la mère d'Ivan est décédée en même temps que l'U.R.S.S. s'effondrait en 1991.
Elle avait appris le français à son fils. Proche de la mort, sa « Mama » lui fait une confidence :
« Ton père s'appelle Paul Koenig et il vit en France ».
Dès les premières pages du livre, on sent qu'Ivan a une attirance envers la forêt. le fait est qu'il a vu de nombreux films en Russie grâce aux activités de sa mère, et un film en particulier l'a marqué
- « L'enfance d'Ivan » ! Il s'agit d'un film d'Andreï Tarkovski dans lequel un jeune orphelin russe rejoint une unité militaire qui combat les Allemands dans la forêt. Et il se trouve que notre Ivan lui-même, est un jeune orphelin russe, et que ce lieu, la forêt, jouera un rôle important dans sa vie. On le comprendra plus tard…

Ce roman est construit de façon intéressante et originale. de nombreuses lettres de correspondances, qui se distinguent du reste du texte avec leur typo de machine à écrire, vont nous permettre progressivement de découvrir et de comprendre énormément de choses au sujet d'Ivan.
L'avocat en charge de sa défense, adresse un courrier en France, à Vera Koenig…
Celle-ci lui répond en retour, confirmant qu'Ivan est son frère, et qu'elle est sans nouvelles de lui depuis sept années déjà… Elle veut connaître son état de santé…
Puis Véra envoie une lettre à Ivan. Elle lui demande comment il a vécu durant toutes ces années écoulées et veut savoir de quoi il a besoin… Elle lui parle de ses parents, Elisabeth et Guy…
Il s'avère que le père d'Ivan, Paul Koenig, est le frère du père de Vera, Guy Koenig.
Ivan est donc le cousin de Vera.

Le récit fait de nombreux flash-back. Il va nous ramener en France, alors qu'Ivan, âgé de douze ans, vient d'arriver chez ses parents adoptifs à Clamart. Cultivé et charmant, il fascine alors tout le monde. Il est plein d'esprit, et un brin provocateur…
Puis on revient vers un courrier… une lettre brève qu'Ivan envoie de Moscou à Vera où il lui dit combien il est attaché à elle, et lui demande de le pardonner pour son long silence.
Il a écrit en prison des cahiers, et il lui en confie la lecture !

Ces cahiers sont copieux, ce sont des confessions intimes importantes !
Quand il est arrivé en France, Vera était là pour lui, pour lui faire découvrir la vie quotidienne et son lieu de vie parisiens. Sa mère, Elisabeth est une journaliste reconnue, et son père Guy est gestionnaire en affaires immobilières. Tous deux sont fort occupés professionnellement et souvent absents de la maison familiale.

Ivan s'épanche dans ses cahiers… En arrivant, cette famille qui l'adopte, est financièrement aisée, mais tandis que son père adoptif est un homme bienveillant et attachant, sa mère adoptive, elle, est narcissique et flatteuse, et Ivan qui aime avant tout la sincérité ne peut pas la supporter.
Bien qu'il parle le français couramment, il se sent un étranger en France !
Ivan est déraciné ! La culture russe n'est pas la culture occidentale ! Les facilités et la richesse, le confort matériel, c'est une chose, mais ça ne remplace pas tout ! L'attachement à son pays d'origine est fort et le manque d'affection le mine… « Ma ville me manquait, Mama me manquait (..) dès que j'étais seul dans ma chambre, la plaie de mon coeur se rouvrait… »
Et s'adressant plus directement à Vera : « pour repousser ma tristesse sans fond, je n'aurais pas pu trouver meilleure distraction que toi, il n'y avait pas mieux. Tu étais mon pansement, tu étais ma lumière. » Ivan découvrait les gracieux changements du corps de Vera… Premiers regards, premiers rapprochements, premiers émois amoureux, excitations pulsionnelles…

Néanmoins, on va découvrir les difficultés qu'Ivan et Vera auront à se laisser aller à leurs désirs…
Vera paraît bloquée. Elle semble être une enfant restée aliénée par ses parents. Ivan, lui, se sent frustré, il voudrait assouvir ses désirs. La retenue de Vera, sa froideur, ses complexes, et l'ardeur d'Ivan, et son besoin d'être désiré, d'être admiré, ne s'accordent pas !
Ivan s'emporte dans une grande colère un jour, dans la forêt où il a emmené Vera. La tête de Vera tombe sur une pierre et elle perd beaucoup de sang…
Après cet épisode dramatique, il va s'éloigner longuement de Vera.
Il part en Russie. Il a fait des études de cinéma, et va réaliser là-bas un premier court-métrage…
Le sujet de son film va intéresser une femme, une ingénieure de formation, devenue activiste, qui souhaite le rencontrer… « Ivan, j'aimerais que vous nous accompagniez dans notre groupe de défense de la forêt. Ce que vous faites dans vos films : témoigner des traces effacées de la culture, vous le ferez naturellement avec la nature. Les monuments sont comme les arbres. » (..) Ce que je voudrais te proposer, c'est de filmer pour nous, à côté de nous. de filmer là-bas, au beau milieu des arbres et ailleurs, nos batailles, nos… » (..) « Tu es français… ta nationalité te protègera et, comme tous les Français, tu dois t'y connaître en matière de résistance civile ou en tout cas en matière de protestation. Les manifestations, c'est un art national chez vous, non ? ».
Il s'agit de sauvegarder la forêt de Khimki à travers laquelle les autorités ont décidé de faire passer une autoroute de Moscou à Saint-Pétersbourg, suite à un contrat avec Vinci !
Ivan va filmer. Mais quand il va assister au déchaînement de violence des autorités vis-à-vis des journalistes qui étaient sur place pour défendre cette cause et dénoncer la corruption liée à ce projet, il va décider de ne plus suivre le groupe… Il ressent un grand besoin de calme, de distance, le besoin de se retrouver soi-même… de se mettre à l'écart, dans un endroit au plus profond de la forêt… « Dans la tente, j'étais à l'abri (..) j'avais découvert ma nature de plante vivace, je m'étais recroquevillé dans mon bulbe et j'étais prêt à refleurir à nouveau. »

Katia Flouest écrit avec « Coeurs vivaces » un premier roman chargé d'émotions, où l'analyse psychologique de ses personnages est très réussie.
Elle a une belle qualité d'écriture. Elle écrit à la fois avec force et délicatesse, et avec beaucoup de sensibilité.

Et son roman foisonne d'une riche Culture, cinématographique et littéraire.
Elle insère habilement des références de films russes à des moments choisis en rapport avec les pensées d'Ivan… Par exemple, quand Ivan se remémore la catastrophe de Tchernobyl, il se souvient aussi d'un film d'Andreï Tarkovski, « Stalker », de 1979, où il s'agit de l'histoire d'un guide qui accompagne des scientifiques dans un No man's land, un territoire qui contient un secret : la chambre des désirs exauçant les voeux de ceux qui s'y rendent. J'y ai vu des liens directs à la fois avec cette sauvegarde de la forêt de Khimki, et avec les désirs amoureux d'Ivan et de Vera…
Il y a encore d'autres liens en rapport avec les personnages, quand par exemple l'auteure cite un film indien de 1964, « Charulata », sur la vie d'une femme mariée qui tombe amoureuse de son cousin, et aussi quand elle cite un roman d'Olivier Rolin « Tigre en papier », roman sur la quête du père, du passé, de la jeunesse, etc.

« Coeurs vivaces » est un beau roman, bien construit, intéressant, bien documenté et agréable à lire, qui invite à réfléchir sur le sens à donner à sa vie, sur le déracinement, sur la différence, sur la rédemption, sur l'intensité de l'amour.
Bravo Katia pour ce riche premier livre et bonne continuation dans votre travail d'écrivaine !
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