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Critique de Yassleo


6 decembre 1989 : tuerie de Polytechnique, Montréal.
Un type pénètre tranquillement dans une université canadienne et abat quatorze femmes de sang froid, en blesse quatorze autres, et se suicide en laissant une lettre: anti-féministe, les femmes auraient pourri sa vie.
En 2015, ce genre de fait divers est presque banalisé : à laisser encore des armes en vente libre, la révolte gronde gentiment mais on ne s'étonne plus des débordements.
Mais en 1989? Et au Canada, pays réputé pacifiste? Choc et incompréhension générale.
Pour ma part, non seulement il ne me reste pas une once de souvenir de cette tragédie qui a bouleversé le Canada (au point de faire du 6 décembre la journée de commémoration et d'action contre la violence faite aux femmes) mais même 25 ans après j'ignorais jusqu'à l'existence de ce drame. Comme le rappelle l'auteure, les faits ont eu lieu trois semaines après la chute du mur de Berlin si bien que l'Europe est complètement passée à travers l'info, toute occupée à sa liesse.

L'auteure retrace donc cet évènement dans un style plutôt journalistique, sans prise de position. Dès les premières pages, on ressent toute l'horreur du moment en suivant Gabriel Lacroix (alias Marc Lépine de son vrai nom) dans son massacre méthodique qui ne cible que les femmes. Puis s'enchaînent la découverte et l'identification des cadavres et des blessés, la détresse des proches et des survivants, le choc et l'émotion à l'échelle nationale. Et enfin les questions. Pourquoi tant de violence, tant de haine? Qui est Lacroix-Lépine? Etait-ce évitable? Est ce l'acte d'un déséquilibré ou un acte politique, anti-féministe? le pays, une fois le choc et le recueillement passés, se divise sur cette dernière question. Aujourd'hui encore, le doute et les interrogations subsistent.

Au-delà de la question de la légitimité du mouvement féministe au Canada traitée dans le récit, ce livre rend un nouvel hommage aux victimes mais retrace aussi l'après-drame (dommage toutefois d'utiliser des pseudonymes, j'ignore pour quelle raison l'auteure n'a pas pu (?) ou voulu (?) rendre un vrai hommage aux personnes décédées car ce n'est pas de la fiction ici, mais bien un récit basé sur des témoignages et du factuel).
La famille brisée du meurtrier, sa mère, sa soeur, les destins à jamais bouleversés des familles des victimes, mais aussi des survivants et tous ces dommages collatéraux (suicide, dépression) qui ont suivi le drame sont, à mon sens, les parties les plus intéressantes. Mettre des mots sur la difficile voire impossible reconstruction après l'inimaginable et l'horreur.
J'ai aimé ces passages car à l'heure d'internet et des chaines d'info en continu où une information en efface une autre, il est trop rare que l'on s'attache aux lendemains de ces drames. Chaque jour annonce son lot de calamités, le pays est ébranlé sur l'instant et quelques jours, quelques semaines suffisent pour oublier.
Peut-être ce livre m'a-t-il touché parce qu'il m'a rappelé un fait divers récent sans lien pourtant : la semaine dernière 43 personnes ont péri dans un accident routier à Puisseguin. Une semaine seulement et déjà quasi-oubliées par le média et peut-être un certain nombre d'entre nous. Il m'a fallu ce livre pour repenser alors aux familles de ces victimes. Par pudeur et respect, nous ne saurons jamais combien de drames collatéraux naîtront de ce malheur, combien de blessures ne se refermeront pas. Mais le fait est qu'il y en aura. Inévitablement.

Pas gai tout ça... mais c'est aussi la force de la littérature : laisser des traces écrites des tragédies pour ne jamais oublier.



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