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Critique de Lucilou


C'est tout de même regrettable qu'il y ait si peu de romans historiques de qualité se déroulant aux temps de ces bons vieux Mérovingiens, voire de ces chers Carolingiens -j'ai beau « préféré » les premiers, je ne suis pas sectaire-. Cela existe bien sûr mais comparé à la production romanesque que consacrent les anglo-saxons à leur « âge sombre », j'ai comme un gout de trop peu. Il y aurait pourtant largement de quoi écrire de bonnes sagas fleuves, romanesques et solidement documentées… Avec Frédégonde et Brunehilde, la matière ne manquerait pas… Je râle, je grinche et certains me cloueront le bec en disant que je suis difficile et ils n'auront sans doute pas tort… C'est que j'ai gardé un souvenir cuisant de mon immense déception à la lecture de « Les Reines Pourpres » de Jean-Louis Fetjaine (dont j'adore pourtant « La Trilogie des Elfes ») dont j'avais trouvé les deux volumes caricaturaux et chaussés de très, (très) gros sabots.
J'ai donc longuement hésité avant de commencer « Par deux fois tu mourras », partagée entre la crainte d'être encore déçue et l'envie folle de découvrir le roman. Je crois que ce qui a fini par me convaincre fut l'estampille « roman policier » accolée à celle de « roman historique ». Comme si, avec cette formule somme toute classique et que j'affectionne particulièrement, je prenais moins de risques.
Même si à l'issue de ma lecture, je ne suis pas aussi dithyrambique que je l'aurai souhaité, j'ai quand même très envie de me plonger dans « La fureur de Frédégonde ». C'est bon signe.
Le roman d'Eric Fouassier qui s'ouvre sur un prologue particulièrement tendu et réussi, pétri d'angoisse et de suspense nous mène en l'an 573, au coeur des royaumes francs gouvernés par les trois petits fils de Clovis, survivants de la lutte fratricide menée par leur père avant eux. Chilpéric. Sigebert et Guntramm souffrent manifestement du même mal que leurs aïeux puisqu'aux aussi ne vont pas tarder à se lancer dans un conflit aussi cruel que sanglant afin de reconstituer le royaume de leur grand-père et d'en être le seul maître. La fraterni... quoi? On pense au « Trône de Fer », un peu aux « Rois Maudits » aussi et on en vient à se dire qu'on ferait bien de ne pas dire trop de mal des Atrides finalement… Quelle idée aussi de considérer un empire comme un bien personnel et de le partager comme on le ferait d'une collection de pierreries… ou d'un gâteau au fil des successions… C'est ainsi que le bouillant Chilpéric règne sur la Neustrie tandis que le sage Sigebert occupe le trône d'Austrasie et que l'insaisissable Guntramm gouverne la Burgondie (les Burgondes sans Arthur, c'est loin d'être aussi drôle !).
« Par deux fois tu mourras », c'est donc le récit sanglant de cette faide royale, des jeux de pouvoirs complexes qui se trament derrière les tentures de brocart que tâche le sang et qu'éclairent les candélabres. C'est aussi un roman policier bien ficelé dont le point de départ remonte à une froide nuit de l'automne 569. Cette nuit-là, Galswinthe, l'épouse de Chilpéric est sauvagement assassinée. Un meurtre lourd de sens et de conséquences…
Retour en 573 où Brunehilde, tout à la fois soeur de la malheureuse et reine de Sigebert d'Austrasie, entend bien faire la lumière sur cette affaire sordide et venger sa soeur (et si au passage, elle pouvait égratigner -et même davantage- la réputation -et même davantage (bis)- de Frédégonde, la nouvelle concubine de Chilpéric, voilà qui la comblerait !). Aussi, elle dépêche à Rouen un jeune lettré gallo-romain, Arsenius, afin qu'il enquête discrètement sur l'affaire. Officiellement, il sera poète, chargé d'écrire la geste des trois frères, officieusement le tout jeune homme est promu détective et jeté dans les griffes d'une histoire qui le dépasse et qui ne manquera pas de le broyer s'il manque de finesse et de perspicacité.
En parallèle, on suit les pas de Wintrude, ancienne princesse thuringienne devenue esclave à la cour de Chilpéric qu'une macabre découverte va conduire à seconder Arsenius dans son enquête. Cet improbable duo va donc entreprendre de découvrir la vérité dans une folle course contre le temps, les braises menaçant de devenir incendie.

Le roman qui mêle habilement les codes du roman historique et du roman policier se lit très bien même si parfois la syntaxe est alourdie par des explications visant à définir certains termes spécifiques. Parfois, un petit lexique en fin d'ouvrage est aussi pertinent que ces phrases-définitions un peu artificielles… Il peut par ailleurs s'enorgueillir d'une solide documentation et a le bon gout de proposer des portraits bien plus nuancés que ce qu'on a l'habitude lire des deux souveraines en présence. En effet, Brunehilde et Frédégonde sont auréolés d'une légende plus que noire depuis des siècles et c'est intéressant de nuancer un peu toute cette obscurité. le personnage principal est attachant et j'ai particulièrement accroché avec cet Arsenius, bien davantage en tout cas qu'avec Wintrude qui m'a semblé correspondre un peu trop à certains fantasmes, au cliché de l'esclave belle et farouche vu et revu, battu et rebattu. Vous savez, l'esclave sexy et diablement intelligente, rudement badasse et terriblement attirante... Hum, ce petit reste de mâle gaze... A cet égard, le récit de la nuit passée avec son compagnon a un peu agacé mon côté féministe, sans que cela n'en devienne toutefois intolérable. Mais quand même. Quand on est capable d'être un peu plus nuancé que la moyenne concernant des figures telles que Frédégonde et Brunehilde, on devrait être capable de bâtir un personnage féminin loin des clichés aussi. Non?

J'ai beaucoup apprécié la manière dont l'intrigue policière rejoint l'intrigue politique, sans que cela ne se fasse au détriment de l'un ou l'autre de ces aspects, tous deux étant certes complexes mais amenés avec clarté. le suspense qui nimbe le texte est également bien dosé, tout comme le travail sur l'atmosphère qui se dégage du roman, très sombre, à la limite parfois du glauque.
Par ailleurs, « Par deux fois tu mourras » revêt aussi un aspect quasi-documentaire dans la manière qu'il a de dépeindre une période et une société fort méconnues : on en mesure par exemple toute la diversité entre les gallo-romains dont les origines celtiques se sont déjà effacées au profit des moeurs plus latines hérités de l'époque des conquêtes romaines et les conquérants francs ; on prend le pouls de l'implantation -pas si aisée- du christianisme dans des territoires encore fortement paganisés ; on découvre une géopolitique complexe et violente…
Un important regret toutefois en ce qui me concerne, en plus du cas Wintrude : comme souvent, j'ai trouvé que la résolution de l'enquête était amenée de manière trop rapide et précipitée ; de même que j'ai regretté l'ellipse qui intervient entre les deux « parties » du roman, comme s'il avait fallu conclure plus vite que prévu… C'est un fait, je suis souvent déçue par les fins dans ce type d'ouvrages. Mais, ce n'est pas sans logique, j'ai toujours du mal, après-tout, à dire aurevoir aux bonnes histoires.



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