AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bequelune


Grace Cleave a beau être une écrivaine reconnue, les relations sociales continuent de l'angoisser profondément. Elle ne parvient jamais à comprendre les codes sociaux, et une simple discussion lui parait être une difficulté insoutenable. Voilà pourquoi, la plupart du temps, elle s'enferme dans son petit appartement londonien et écrit des heures durant.

Seulement voilà, elle doit passer le weekend dans la famille d'un « ami » qu'elle connaissait jusque là surtout par un échange de lettres. Vers l'autre été raconte d'abord ça : comment une écrivaine complètement dépassée par les relations humaines tentent de survivre à quelques jours enfermée dans une maison avec une famille inconnue.

Ce qui fait la particularité de ce livre, c'est son héroïne. Reconnue par ses pairs et le public pour sa maitrise de l'écriture, elle se révèle incapable de soutenir une discussion banale. Tout l'angoisse, surtout le quotidien. Et elle a des pensées originales. Par exemple, elle se persuade de ne pas être humaine, mais d'être une sorte d'oiseau migrateur qui entend sans cesse l'appel « vers l'autre été » (d'où le titre du roman), appel qui n'est pas sans lien avec un sentiment d'exil… puisque cette écrivaine vivant en Angleterre a fui sa Nouvelle-Zélande natale, pays auquel elle pense sans cesse.

Ce livre est en bonne partie autobiographique, ce qui ajoute au charme et au trouble ressenti à la lecture. Janet Frame, l'auteure, le trouvait trop embarrassant pour être publié de son vivant, mais voulait bien qu'il le soit post-mortem.

C'est qu'il est écrit avec un degré de sincérité déstabilisant. La narratrice y confesse son sentiment d'étrangeté aux humains, et comment elle se sent beaucoup plus proche de certains oiseaux et de la vie silencieuse dans les grands espaces néo-zélandais. À la lecture, je n'ai pu m'empécher de me demander si Janet Frame relevait d'une forme d'autisme ou de schizophrénie. En tout cas c'est très intéressant de lire cette perception du monde qui parait à la fois complètement tordue et très cohérente. Dans la réalité, Janet Frame a longtemps été interné, a subi des centaines d'électrochocs et n'a échappé à cette torture que grâce au succès de son premier livre. Dans le roman, seule l'écriture semble encore attacher Grace Cleave au monde humain.

La « folie » si poétique de la narratrice n'est pas le seul sujet du livre. La famille où celle ci va séjourner est, comme elle, d'origine néo-zélandaise. Une large partie du livre est consacrée aux souvenirs d'enfance dans ce pays, avec une forme de nostalgie mais aussi de mise à distance. Les scènes vécues « pour de vrai » dans la maison et les souvenirs se mêlent dans le livre, créant parfois une atmosphère un peu irréelle. C'est un témoignage assez fort, très personnel, avec une écriture à la hauteur de cette exigence si singulière.

S'il n'est pas toujours facile à lire, ce livre est assez marquant.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}