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Critique de fuji


fuji
17 septembre 2017
Au coeur du Cantal, dans la chaleur étouffante de ce mois d'aout 1914, que savent les familles Lary, Valette et Léonard de ce conflit déclenché par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand héritier du trône Austro-Hongrois et de son épouse à Sarajevo. Probablement rien ou peu de choses.
Ce dernier évènement a fait exploser les tensions latentes d'un nationalisme fort et d'un impérialisme toujours plus étendu.
Mais nos familles dans les campagnes, elles, triment pour vivre de leurs terres et c'est une bombe qui éclate dans leurs jardins lorsque les cloches sonnent le glas de plus de soixante millions d'hommes car les survivants ne seront plus jamais les mêmes.
Franck Bouysse fait le choix de nous raconter la vie de ceux qui restent, femmes, enfants et éclopés.
Tout d'abord Marie la matriarche de la ferme Lary, la vraie définition de matriarche est : « Éléphante dominante qui mène un clan de femelles et de petits. », ce n'était pas voulu de sa part, mais son mari étant mort foudroyé elle a pris tout naturellement ce rôle. Son fils Victor va partir à la guerre et Mathilde sa femme et Joseph leur fils vont faire tourner la ferme avec l'aide d'un voisin et ami Léonard. Ils devront se méfier de Valette homme qui doit rester car il a une main atrophiée, il est aigri et malveillant. Il n'apprécie pas de devoir héberger sa belle-soeur et sa nièce Anna.
« Marie dépensait une énergie considérable pour dissimuler les ratés de son coeur qui s'emballait souvent, brinquebalant comme une charrette progressant à vive allure sur un mauvais chemin, puis qui ralentissait son rythme jusqu'à ce qu'elle ne le sente plus cogner dans sa poitrine, sans qu'aucune douleur accompagnât ces à-coups, juste des fièvres provoquées par la peur. Elle se sentait décliner de jour en jour, et pourtant, elle n'avait pas peur de la mort. Ce qu'elle redoutait, c'était de ne pas revoir son fils, et aussi d'abandonner la ferme à sa bru et à Joseph. Ils avaient encore tant de choses à apprendre, tant de choses qu'elle ne pourrait leur transmettre, une fois dans la tombe. »
Mais pour Joseph, la vie s'éveille. « Un feu humide embrasa Joseph, il se sentit durcir et agrippa maladroitement les hanches de la jeune fille, plus pour garder ses distances que pour se rapprocher d'elle. Une délicieuse panique l'envahit. Jamais il ne s'était laissé aller de la sorte, jouet consentant, persuadé qu'il ne pourrait jamais rembourser une dette pareille, et qu'il serait redevable à cette fille jusqu'à la fin des temps. »
Les mois passent, les lignes bougent Joseph prend sa place d'homme et Mathilde sa mère s'affranchit de ce qui jusque-là a fait sa vie, au plus profond d'elle, elle sait que plus rien ne sera jamais pareil. Les rôles se distribuent avec naturel pour que chacun et chacune joue sa partition dans la grande symphonie de la vie.
Dans ce monde de la terre où chaque silence est éloquent, le chef d'orchestre c'est la nature, les humains sont les musiciens qui permettront de la rendre pérenne ou pas.
Mais Valette, lui, est véreux. « le souffle de Valette s'enfonçait dans la chevelure d'Anna. Son haleine puait l'ail et l'alcool, et son corps le rance. »
La vie va au rythme de la nature, des messages apportés par la factrice ainsi que par ceux qui réquisitionnent les bêtes sous le regard impuissant de ces familles.
Léonard sera un guide pour Joseph.
La force de ce roman ce sont ces gens-là qui ne sont pas des personnages mais des êtres que l'on a tous côtoyé.
La force de la précision de la gestuelle que l'auteur sculpte pour nous.
La force des silences éloquents.
La force de la nature qui renait.
La force d'un monde qui gronde ou s'apaise dans l'amour.
La force de la vie qui coule dans les veines humaines et terrestres.
La force ancestrale à laquelle croit l'auteur et qui croît au fil des histoires qu'il nous raconte avec toujours cette musique des mots justes.
La force d'un hommage à ceux qui se sont battus pour leur pays.
Si la glaise colle aux semelles, elle emprisonne aussi les souvenirs bons ou mauvais et sculpte les rêves les plus audacieux. Elle est la mémoire de ces familles qui laisseront une empreinte durable dans vos esprits.
Vos yeux lecteurs vont suivre chaque mot comme autant de pépites découvertes dans votre batée et vous engrangerez des images sur votre rétine afin de conserver longtemps les sensations envoyées à vos organes vitaux. Tantôt vos poumons se bloqueront pour retenir votre souffle ou se relâcheront, vos reins seront douloureux, votre foie mis à mal et surtout votre coeur ne battra jamais au même rythme, car ce ne sera pas vous le maître mais bien Franck Bouysse qui élève le roman noir Français à son summum. Plus qu'une réussite un livre incomparable.
Même si sa modestie doit en souffrir l'auteur est devenu le maître de ce genre littéraire. Je ne sais plus qui a écrit que : « l'intrigue n'est que le squelette du roman noir, sa chair en étant l'histoire sociale » je complèterai en disant que la réussite totale c'est l'écriture d'un auteur qui est un grand styliste.
Je referme ce livre sur un éblouissement total, celui qui fait que je viens de lire de la belle littérature en lettres majuscules. Merci Franck Bouysse.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 17 septembre 2017.
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