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Critique de madameduberry


Au début du 20ème siècle, avant la Grande Guerre, à Paris, une jeune fille ruinée se débat contre la misère en devenant femme de service dans une maternelle d'un quartier misérable (on dirait aujourd'hui: défavorisé, ou on dirait juste: un quartier…)Cet ouvrage, écrit par un homme du sérail (Instruction publique), est surprenant à plus d'un titre. D'abord, sa modernité (nous sommes tout de même au début des années 1900!) car il traite de la misère ordinaire à Ménilmontant, la faim, l'alcoolisme, la maltraitance telle qu'elle peut être occultée pour ne pas dire ignorée par le personnage idéal de "la Maîtresse". Cette dernière, sûrement bonne pédagogue, semble négliger le fait qu'elle donne des cours de morale sur l'hygiène et la propreté à des enfants sans mère et qui ne mangent qu'un jour sur deux… le décalage entre les idéaux de l'Ecole IIIème république et la misère ambiante n'est pas sans rappeler certaines impasses contemporaines.
Surprenante aussi la sensibilité féminine manifestée par cet inspecteur de l'instruction publique décrivant les affres et les espoirs de Rose , la demoiselle de bonne famille qui a eu des malheurs. Ne serait-ce l'espèce de fatuité bien masculine de la fin elliptique et romantique,( Rose est sauvée parce qu'un homme a été séduit par sa personne) on pourrait se demander si ce n'est pas une main féminine et féministe qui a guidé la plume de Léon Frapié. Un peu à l'eau de rose (c'est le cas de le dire), ce roman est à la fois sympathique et touchant et parfois il prend une ampleur de dénonciation . Il souligne la position des femmes de l'époque, complêtement dépendantes de leur situation familiale (fille fortunée, dotée, mariée, ou ouvrière se débattant dans la pauvreté ou la prostitution),éternelles mineures dont la problématique est très comparable à celle des enfants auxquels Rose va, de par sa sensibilité personnelle et sa propre condition, complêtement s'identifier, au point de s'excuser de les trahir lorsqu'elle répond aux avances de son beau médecin- inspecteur. Une fin en partie heureuse qui satisfait les esprits fleur bleue, mais pas les féministes qui préfèrent peut-être la sèche "Mademoiselle", les études à l'Ecole Normale constituant une relative émancipation pour les femmes de l'époque. Au détriment, souvent, de leur vie affective et familiale.
Or je trouve le personnage central bien plus consistant que la bluette romanesque le laissait craindre au départ. Une sorte de Claudine qui ne serait pas égocentrique, qui aurait lu Vallès et écouté les discours deJaurès.En témoigne le discours de la mère Gras, qui clôt le livre,chef d'oeuvre d'éloquence populaire (et non populiste) et dont les accents sont proches du Forgeron de Rimbaud.Un livre à plusieurs entrées, donc, avec une authenticité et un désir de donner la parole aux faibles et aux oubliés, sans se contenter de les "victimiser"en quelque sorte.L'évocation du sort des enfants entraînés dans le désespoir de leur mère est dans sa pudeur une illustration de l'injustice sociale.Rappel d'une époque antérieure à la mise en place d'un maillage d'aides sociales et de filets de sauvetage pour l'enfance.

Les personnes (ATSEM , AVS) qui gravitent aujourd'hui dans cet univers de l'école, trouveront peut-être dans cette pépite littéraire à peine surannée des éléments de leur expérience vécue.
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