AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eric75


L'inspecteur principal Mike « Scorcher » Kennedy est chargé de conduire une enquête sur un triple meurtre survenu à Broken Harbour, dans un lotissement situé en bord de mer non loin de Dublin. Mis sur la touche suite à des erreurs passées, Mike voit dans cette affaire une opportunité pour redorer son image aux yeux de son chef et de ses collègues. On lui colle un adjoint novice, l'inspecteur Richie Curran, dont il doit assurer la formation sur le terrain, ce qui n'est visiblement pas pour lui déplaire car Mike Kennedy adore asséner les règles du métier forgées par ses observations personnelles et proférer au passage quelques assertions viriles fleurant bon la vieille école et supposées renforcer son autorité.
Une famille bon chic bon genre a été décimée à l'arme blanche dans son pavillon : Patrick Spain, le père au chômage, ses deux enfants de quatre et six ans. Seule la mère Jenny, envoyée en réanimation, a survécu. Fiona, la soeur de Jenny qui a découvert le drame, a prévenu la police et sera le premier témoin interrogé.
Ce cinquième roman de Tana French est conçu comme un huis clos théâtral qui se joue sur une scène à trois décors : la maison du crime, le commissariat, l'hôpital. Comme au théâtre, l'essentiel est porté par les relations entre les personnages et les dialogues. Les interrogatoires et les débriefings nourrissent la réflexion des enquêteurs. Les investigations s'opèrent hors champ (l'analyse du disque dur, la fouille des environs par les stagiaires, la surveillance de la maison). Tout semble écrit à l'avance pour converger inéluctablement vers le dénouement implacable. Pour autant, le lecteur qui suit pas à pas l'enquête et qui dispose en principe de toutes les pièces du puzzle, nage en plein mystère et ne voit rien venir.
Cette construction minimaliste qui donne sa cohérence au roman peut aussi, à mon avis, devenir une source de frustration. La vérité une fois révélée, bien qu'atroce, s'avère être d'une affligeante banalité. le contexte économique de l'Irlande (chômage, crise immobilière…) qui sous-tend les drames se déroulant sous nos yeux, n'est pas vraiment décrit. La crise irlandaise n'est pas analysée et il faut aller sur Wikipédia pour en savoir un peu plus. L'Irlande elle-même n'est pas réellement présente dans le récit. La même histoire aurait pu se dérouler sur la côte belge, française, ou hollandaise. Ne cherchez pas dans ce roman les pubs irlandais, les rouquins buveurs de bière, les autonomistes de l'IRA en cavale ou les taupes infiltrées du MI6, qui auraient pu donner quelques scénarios alternatifs supplémentaires aux hypothèses envisagées par les enquêteurs. La réalité décrite ici est à la fois plus banale et plus universelle. A force de tendre vers l'allégorie et l'emblématique (chômeur dépressif, couple idéal, voisins jaloux, victimes innocentes…), le scénario se construit hors-sol et le récit s'en trouve un peu désincarné.
La relation entre Mike et Richie est bien plus intéressante. le jeune inspecteur Curran pourra-t-il se montrer à la hauteur de sa mission, ne pas flancher lors des autopsies, se maintenir à bonne distance de la détresse des victimes ? le disciple ne finira-t-il pas par dépasser le maître (qui le laisse volontiers mener les interrogatoires des témoins, après s'être rendu compte de son efficacité) ? On devine au fil de l'enquête le mélange d'amitié, d'admiration et de paternalisme qui s'installe entre les deux enquêteurs. Mike finira par admettre les talents de Richie et même par couvrir ses faux pas, mais sans le ménager pour autant.
On appréciera tout autant les rapports compliqués entretenus entre Mike et sa soeur Dina. Mike Kennedy cache une fêlure familiale, qui à elle seule constitue un second récit dans le récit. Au cours du roman, on est amené à explorer le passé de Mike, pour qui les lieux du drame ne peuvent que réveiller de douloureux souvenirs. On comprend alors qu'il lui faudra à tout prix résoudre cette enquête pour conjurer la malédiction du lieu et exorciser un autre drame familial, beaucoup plus personnel, survenu dans sa petite enfance.
La maison des absents est un bon polar, qui manque un peu de couleur locale mais qui vise l'universalité dans sa description fine des rapports humains, qu'ils soient professionnels ou familiaux. On a tous quelque chose en nous de Kennedy. Si un jour Tana French propose une suite à ses aventures et à La maison des absents, je répondrai volontiers présent !
Commenter  J’apprécie          332



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}