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Critique de colimasson


« (Les romans ne conviennent pas du tout, ces jours-ci, on y parle de gens dans leur rapport à eux-mêmes et aux autres, de pères et de mères et de filles ou de fils et de leurs amours, etc., d'âmes, principalement malheureuses, et de la société, etc., comme si, pour tout cela, le terrain était assuré, la terre une fois pour toutes la terre, la hauteur du niveau de la mer réglée une fois pour toutes.) »


Après une telle observation, Monsieur Max Frisch, il n'est pas question que vous nous écriviez un roman du même acabit. Certes, les romans d'analyse sentimentale peuvent résoudre un problème ou permettre de passer un bon moment, mais lorsqu'il n'y a plus que du sentiment et de l'émotion pâle, la courbe s'inverse, on en vient à détester les sentiments, surtout lorsqu'ils sont bons. M. Geiser n'a pas ce type de problème : il est vieux et il vit seul depuis longtemps, avec le souvenir de sa défunte épouse dont il ne conserve plus qu'un portrait mal réalisé dans le salon. du salon, le portrait finira bientôt à la cave : M. Geiser a besoin de place sur ses murs pour accrocher ses notes. Puisqu'il n'a plus rien à faire de ses journées, et puisque sa mémoire commence à s'étioler, M. Geiser passe son temps à lire des dictionnaires, des documents scientifiques et la Bible. Tout ce qui lui semble important, il le recopie sur de petites feuilles volantes qu'il épingle à son mur.


« Pour le moment, M. Geiser n'a aucun besoin du nombre d'or, mais savoir tranquillise. »


M. Geiser pourrait aussi bien s'amuser à se promener dans la nature. Après tout, il habite dans la belle campagne suisse, là où il ne se passe rien. Mais la nature elle-même n'est plus coopérante comme avant. Elle est figée, dégradée, aussi vile que l'homme, elle aurait bien besoin de lire les vieux bouquins pour se souvenir de ce qu'elle était dans le passé. Mais peut-être est-ce à cause de ces vieux bouquins qu'on imagine que la nature se montrait plus vaillante dans l'ancien temps ?


« Les figues ne mûrissent pas, mais bien les raisins. Beaucoup de châtaigniers ont le cancer. En automne, les bûcherons sont à l'ouvrage, pendant des jours on entend le crépitement de leur scie électrique, sans voir les hommes dans le bois. »


Et puis, il ne se passe rien non plus quand on se promène et qu'on marche tout seul, « la plupart du temps, on ne pense à rien du tout en marchant ». Et pourtant, complètement inconscient, alors qu'il ne cesse de pleuvoir depuis des semaines, M. Geiser décide un jour d'escalader une montagne, comme dans le bon vieux temps, alors qu'il était encore jeune et vaillant. Il découvre ceci : « La maison que M. Geiser a quittée à l'aube, sa maison, qui se trouve à présent dans une autre vallée, n'appartient presque plus au présent lorsque M. Geiser songe qu'il a habité là pendant quatorze ans ».


Voilà, ni plus ni moins. Fallait-il se donner tout ce mal de vivre pour si peu ? Pour rien ? S'il y a quelque chose à apprendre dans toute cette histoire, c'est que le phénomène scientifique et la connaissance n'ont rien de glorieux. Passé l'âge de force où on peut encore parader de ses quelques petites réussites devant un public compatissant, l'accumulation du savoir permet juste de repousser à plus tard l'extinction définitive des feux.


Ne pleurons pas, Max Frisch n'a pas voulu écrire un roman sentimental. Et c'est génial.
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