Je ne suis pas fan de dystopies à portée sociale (ce roman en est clairement une, et en cela, on peut le comparer à Cité d'Ivoire, que j'ai chroniqué il y a peu), mais ce roman m'a accroché du début jusqu'à la fin. Il se lit tout seul. le style est fluide, sans accro ou incohérence qui sort de la lecture, et évite également un bon nombre d'écueils scénaristiques (d'ailleurs, on s'inquiète pour les personnages jusqu'au bout, certains que TOUT peut leur arriver). Il n'est pas exempt d'une certaine violence, mais elle n'est jamais explicite et reste surtout sociale. Au-delà des injustices de classe du Dôme Sud et de la loi du plus fort qui règne chez les ouvriers du Dôme Nord, la plus grande violence est surtout psychologique, avec les injonctions à la perfection qu'impose cette société utopiste gérée par une IA. Imaginez une dictature imposée par
Steve Jobs et les technocrates new-age de la Silicon Valley, où l'on vous force à manger de la spiruline et à faire du yoga tous les jours : c'est ce type de société qui est incarnée par Arescorp, le conglomérat tout-puissant qui gère le Dôme Sud de Mars. Surveillance constante, injonctions à la minceur, la beauté et la bonne santé, interdiction d'élever la voix, méditation obligatoire, culte de l'intelligence poussé à son paroxysme, eugénisme... avec, en parallèle, un quartier de laissés pour compte, d'ouvriers livrés à eux-mêmes qui ne bénéficient pas du quart de la richesse produite par la colonie : le Dôme Nord (qui évoque un mélange entre le Venusville de Total Recall et les districts pauvres de Hunger Games).
Un scénario somme toute classique, mais qui évite l'écueil de la lutte binaire entre les gentils pauvres et les méchants exploiteurs (dans lequel Cité d'Ivoire était tombé, par exemple...). Si le Dôme Sud met mal à l'aise avec ses compléments protéinés et son système « d'appariement », le Dôme Nord, lui, est désespérant de noirceur et de danger. La vie n'y vaut pas cher et les ouvriers sont aussi impitoyables entre eux que les « sudistes » le sont envers eux. On espère que le salut viendra d'un sursaut révolutionnaire, mais ce n'est clairement pas l'objet de ce roman, qui mêle plusieurs influences, de Divergente à Stranger Things et s'attache plus au destin individuel qu'au corps social.
Dans le résumé, j'ai évoqué deux personnages, mais le roman est polyphonique. On suit notamment le point de vue du directeur de la colonie, de la mère d'Atlas, et surtout d'une jeune ouvrière aux intentions troubles, Junon, et de la fille du directeur de la colonie, Helena, l'analyste la plus prometteuse de sa génération. Mais ce sont clairement Atlas et surtout Altaïr qui sont les protagonistes principaux. Ce sont également les personnages à qui on s'attache le plus, et c'est l'incertitude liée à leur sort peu enviable qui pousse à tourner les pages. En effet, ils passent brutalement de jeunes ados privilégiés à qui tout réussit (en apparence...) à parias réprouvés, rejetés de partout, et qui devront se battre pour survivre, faire preuve d'adaptation, de résilience et de débrouillardise. C'est ce parcours qui forme le fil rouge du roman, avec ce mystère sous-jacent qu'on veut voir résoudre : pourquoi le système a-t-il exclu Altaïr ? Et quel est le rôle que va jouer Helena, la jeune citoyenne modèle, peut-être un peu trop parfaite, dans cette équation ?
En somme, il s'agit d'un bon roman de SF qui évite pas mal de pièges du YA (notamment grâce au recours à la troisième personne) tout en en gardant le dynamisme (chapitres courts, écriture claire et directe) et contentera un lectorat agacé par les pitreries de ce genre, en quête de cohérence et de solidité. C'est également une bonne porte d'entrée vers la SF « adulte ». Un roman qui mérite largement de se trouver plus mis en avant, aux côtés des « étoiles montantes » de la SF francophone, pas si nombreuses !