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Critique de fbalestas


Voilà une belle découverte de ces derniers jours : un premier roman publié aux éditions Sabine Wespieser d’un poète américain confirmé, Forrest Gander.

Qui est Lester, cet homme qui fascine et ensorcelle tous ceux qui le côtoient ? Trois points de vue (sa naissance, son meilleur ami, sa maîtresse) se confrontent, jusqu’à un quatrième point de vue complémentaire un peu étrange ?

Le récit s’ouvre, après une citation du Livre des marges d’Edmond Jabès, sur dix pages d’anthologie décrivant une scène d’accouchement. Un accouchement qui se passe mal, et qu’on observe du point de vue de la mère de la jeune fille en travail, une mère médusée et pétrifiée devant l’événement, qui assiste impuissante aux souffrances de sa fille jusqu’à la délivrance finale : une toute petite chose, le cordon ombilical autour du cou.

Dans la seconde partie, la plus longue, on retrouve le personnage de Lester, l’enfant qui a été abandonné après cette naissance difficile, devenu géomètre mais aussi poète à Eureka Springs. Et c’est au travers du regard de Clay, son collègue et ami, qu’on va découvrir ce jeune homme de vingt-cinq ans, déjà marié pour la seconde fois avec une prénommée Cora, qu’on ne verra pas, mais cohabitant avec Sarah, une militante lesbienne, qu’on découvrira. Car Lester est aussi un fieffé menteur. Il mène double vie et vénère le mensonge.

Tous les personnages qui le côtoient sont séduits par Lester. Clay au premier chef . « Ils savaient tous combien je l’aimais », avoue-t-il. Une fascination sans borne, sans limites.

« C’est parce qu’il m’attirait tellement et n’avait pas de temps à perdre pour moi que je me suis mis à voir Sarah plus souvent. J’allais lui rendre visite à la librairie où elle travaillait, et je l’écoutais, chez eux, pendant qu’elle s’exerçait au violoncelle. On parlait de Lester. Il était notre narcotique. »

Et de quoi parlent Lester et Sarah ? De François Villon ! « Très sérieusement, comme si cela devait orienter la façon dont ils conduiraient le reste de leur vie. » Et Clay s’en ressent exclu, lui qui ne connaît rien à ce François Villon, son domaine privilégié étant plutôt la campagne où il pratique l’arpentage avec Lester et Quinton.

J’ai rarement lu des pages aussi précises sur la pratique de la géométrie : on y parle de théodolite, de canne à prisme, de lunette, de nivelle sphérique et de carnet de chantier. Les scènes en pleine nature sont d’une grande précision et décrites avec beaucoup de poésie.
« Comme la tête d'aigrette que nous avons trouvée tranchée près du sentier dans les bois de pins, l'œil mandarine ouvert, limpide » : une phrase de poète, sans aucun doute.

Mais dès que Clay quitte la campagne où il officie avec Lester, les choses se gâtent, et la jalousie n’est pas loin.

« J’étais venu à cette table heureux de voir Lester, allègre, avec cet air crâne un brin poseur dont j’aimais penser que c’était tout moi, et bien résolu à offrir la prochaine tournée. Sans douter un instant que j’aurais des choses à dire. Mais j’étais toujours déchu de toute qualité par Lester. Vidé. Il avait une espèce de grigri qui me transformait en pantin. Dans le meilleur cas, chacune de nos rencontres m’infligeait une blessure. Et je me mis à penser, mes coudes appuyés sur la table, mon regard allant de son visage à celui de Sarah, que je guérirais seulement s’il lui arrivait quelque malheur. »

Humilié, impuissant à susciter un quelconque intérêt auprès de Lester, incapable de s’immiscer dans la relation entre Sarah et son ami, Clay s’achemine tout droit vers le drame. Car de la fascination à la haine il n’y a qu’un pas.

La troisième partie, la moins intéressante à mon avis, donne la parole à Sarah. Dressant une élégie à la mémoire de celui qu’elle a aimé, et tentant vainement de percer l’énigme de cet homme pas comme les autres, qui l’a trahie, elle aussi.

Le récit se terminera sur une quatrième et dernière partie, censée reproduire des chutes d’une interview filmée de Lester, uniquement avec les réponses du poète géomètre aux questions posées. Un quatrième point de vue donc sur cet homme fascinant, livré par bribes, dont on ne connaîtra jamais vraiment le point de vue personnel.

En ami traite donc de l’amitié, du charisme, du magnétisme qu’un être peut exercer sur d’autres. Mais aussi de la vulnérabilité, de la complexité humaine, du mensonge. Et surtout de la trahison.

D’une écriture très poétique (on sent que l’auteur a derrière lui de nombreuses publications poétiques, qu’il maîtrise le langage), la clef finale est peut-être à chercher dans la citation initiale de Jabès : « Mais peut-être que tout livre n’est que l’expression écrite d’une amitié qui se cherche dans l’amitié d’un inconnu devenu notre double : un adversaire et un complice. »

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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