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Critique de JustAWord


Un titre en grec-mort qui interpelle le lecteur, une couverture stylisée et presque monochrome qui minimalise pour capter l'attention et un premier roman adulte chez La Volte signée par une certaine Claire Garand.
Il n'en faut pas plus à Paideia pour attirer l'attention du lecteur de science-fiction en recherche de nouvelles plumes audacieuses.
Explorons une station en orbite dans un lointain futur où l'humanité s'est entre-suicidée mais pour laquelle reste encore un espoir ou, plutôt, quatre-virgule-deux…

Il faut se frayer un chemin à travers une pluie de météorites avant de faire la connaissance de notre narratrice-sans-nom. D'elle, on ne sait que peu de choses que nous essayerons de résumer ici simplement : une jeune femme modifiée/améliorée génétiquement, parmi les dix survivantes d'une humanité noyée par la catastrophe climatique et étrillée par les guerres sélénites entre les rescapés, avec une intelligence et une endurance largement supérieure à la normale, qui rêve d'explorer Mars et de conquérir l'espace au nom d'une race humaine renaissante et triomphante, pour le moment piégée dans une des dix stations en orbite autour de la Lune en compagnie de son couple parental et de Lelio, son Animex.
Mais, « elle », n'est pas seule. Puisque neuf autres stations similaires avec neuf autres petites filles et neuf autres couples parentaux orbitent autour du satellite d'une Terre désormais morte. Ces dix graines se préparent à recoloniser la Lune près de 7 ans après les derniers brasiers de guerres humaines sur celle-ci, 7 ans après le dur labeur des couples parentaux pour tirer des ruines une base viable d'où l'humanité pourra refleurir.
De ces dix enfants, notre narratrice est pourtant la moins aimée, volontiers méprisée et insultée par les autres orbiteuses, sauf peut-être Philippine dont elle ne sait si elle doit attendre pitié ou solidarité dans le lynchage perpétuelle qui la frappe au hasard. Car sur leur échelle d'intelligence supérieure, elle n'est qu'une « quatre-virgule-deux », très loin des virgules cinq et plus de leur petit groupe de reines du cosmos.
Claire Garand s'imagine la fin de l'humanité, encore.
Celle-ci n'est qu'évoquée de façon parcellaire et fugace, résultat d'un égoïsme dévastateur qui mène les derniers hommes à s'entretuer plutôt que d'accueillir le migrant en détresse. Rien ne change.
Paideia n'est cependant pas un roman sur l'apocalypse et pas plus, d'ailleurs, de la post-apocalypse. Il nous parle de dix survivantes et d'une entreprise complètement folle pour relançer la race humaine, comme un rêve insensé en forme de conte. le problème ici, c'est que le « Happily ever after » a bien des chances de ne jamais advenir… et pas forcément pour les raisons que vous pourriez penser.

Des difficultés techniques ? Une menace extérieure ? Une insuffisance des moyens ? Un plan défaillant ?
Pas vraiment. Comme son nom l'indique, Paideia nous parle d'éducation avec, en arrière-plan, l'idée de la construction d'une utopie.
Une société nouvelle, plus forte, parfaite.
Le problème, c'est que notre narratrice, dès les premières pages, est le souffre-douleur de son groupe de jeunes filles surdouées. Car elle serait moins surdouée que les autres. Et l'on se rend compte que le principal danger qui guette la nouvelle humanité, c'est la nature humaine elle-même. Quatre-virgule-deux touche dans sa fragilité et dans ce qu'elle encaisse, constamment soumise au jugement des autres, brutalisée sans hésitation et parfois tout simplement ignorée. Il semble que la cour de récréation vient d'être réinventée et que le harcèlement a encore de longues années devant lui. Claire Garand joue beaucoup d'ailleurs sur la différence qui existe entre l'intelligence de ces gamines, l'ambition de leurs projets et la puérilité de leurs attitudes et de leurs actions, notamment envers sa jeune narratrice incomprise. Ce drôle de décalage renforce l'idée que l'homme n'a jamais été prêt pour les étoiles et qu'il ne risque pas de l'être de sitôt, modifié ou pas. Surtout, on se doute rapidement que la présence de ces dix jeunes filles sert un but purement reproductif et c'est ici que le message du roman devient le plus intéressant puisque tout Quatre-virgule-deux qu'elle est, notre jeune rêveuse n'a rien d'une mère de l'espace mais tout d'une aventurière chevronnée, de celles qui regardent les étoiles et visent l'univers tout entier dans leur regard.
Dès lors, elle refuse d'être réduite à une fonction de couveuse biologique pour nouvelle race en danger. Claire Garand rejette le rôle social et biologique imposé aux femmes, et veut donner d'autres ambitions à son héroïne, comme un pied-de-nez à ces intelligences déjà formatées et résignées à un sort finalement peu enviable de poules pondeuses.
Ce qui couve dans Paideia, c'est la révolte contre un rôle assigné, c'est l'envie de se libérer des chaînes de l'espèce.
Faut-il se sacrifier pour tous ou se choisir soi ?

Touchante, notre narratrice aura aussi des liens très forts avec son couple parental, montrant l'importance de l'affection, d'où qu'elle vienne, rappelant la force de l'amour pour s'embarquer dans des projets ambitieux mais aussi, et surtout, l'obligatoire émancipation des bras aimants de la contrainte bienveillante. Paideia montre la domination avec un gant de velours.
Reste cependant le style et l'écriture de Claire Garand qui dessert autant qu'il singularise le récit. Avec un vocabulaire particulièrement luxuriant, la française aime les expressions inattendues, les combinaisons de mots tantôt absurdes tantôt grotesques et le résultat final n'est certainement pas aussi convaincant qu'il le devrait.
Le talon d'Achille de Paideia, c'est finalement ce style si particulier qui parvient la moitié du temps à ses fins — rendant le texte unique et la voix de son héroïne particulièrement étrange — et l'autre moitié du temps étouffe le récit et l'alourdit inutilement. Soit les expressions employées surprennent et font mouche, soit elles semblent complètement tirées par les cheveux et à la limite du ridicule. le travail sur la langue est là, mais, justement, peut-être un peu trop pour ne pas sortir de lecteur de ce huit-clos spatial où les émotions prennent déjà une place considérable. Lorgnant parfois vers le body-horror, Paideia aurait certainement gagné à rester plus simple dans son florilège lexical pour ne pas gonfler artificiellement ses lignes et en faire ressortir ainsi les morceaux les plus inattendus.

Emporté par la plume trop exubérante pour son propre bien de Claire Garand, Paideia nous emmène dans l'intimité d'une petite fille piégée par les vices immémoriaux de sa propre espèce. Récit de révolte qui semble dire qu'il vaut mieux mettre fin que rejouer sans fin, Paideia est une histoire certes passionnante et intense mais aussi une plongée éprouvante par les mots et les maux de son autrice. À tester avant d'embarquer.
Lien : https://justaword.fr/paideia..
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