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Critique de GURB


Plus je lis ce « drame de femmes dans les villages d'Espagne », plus j'y retrouve – entre autres -- l'Espagne de toujours, l'Espagne éternelle. Voyez plutôt :
● LA MAISON. La « casa » dans laquelle Bernarda décide d'enfermer ses filles pendant huit longues années est l'image même de cette Espagne qui pendant les deux derniers siècles est restée enfermée « tras los montes », refusant de s'ouvrir à l'Europe et restant en marge du progrès. Cet enfermement s'est accentué , bien sûr, pendant la dictature et il a fallu attendre les années 70 pour observer une timide ouverture sur l'extérieur.
● LA CHALEUR. Ce drame ne pouvait éclater avec une telle intensité que dans un pays et une région - l'Andalousie – ou la chaleur exacerbe les passions. le feu du ciel est omniprésent. Il règne partout : sur le village accablé par la canicule et en manque d'eau ; sur la campagne ou les moissonneurs travaillent « au milieu des flammes » et surtout chez l'étalon en chaleur et dans le corps des cinq filles de Bernarda.
● LE DESPOTISME. Il se manifeste dans la pièce par le pouvoir tyrannique de Bernarda, symbolisé par sa canne, emblème de son autorité. Et ce despotisme -sous toutes ses formes, Dieu sait si les espagnols l'ont connu ! Il s'est manifesté de haut en bas de l'échelle sociale par l'absolutisme, l'autoritarisme, le caciquisme, la dictature, l'oppression exercée par les grands propriétaires terriens, les capitaines d'industrie, le patriarcat…et parfois les révoltes de ceux sur qui s'exerce ce pouvoir. Et on en revient là au thème central de la pièce : le conflit entre le principe d'autorité et le principe de liberté, la répression face à la spontanéité des instincts vitaux. Très espagnol tout cela.
● L'HONNEUR . Ce vieux thème de l'honneur, si inséparable de l'âme espagnole, est ici lié aux apparences et au « qu'en dira-t-on ». Ainsi se crée une atmosphère oppressante avec cette peur constante de voir son honneur sali. Ce sentiment est traduit symboliquement par l'obsession de Bernarda pour la propreté. Il est impérieux d'être bien propre sur soi au risque de perdre toute considération sociale. Et si par malheur l'honneur est souillé, alors, on n'y va pas de main morte pour le laver : « du charbon ardent à l'endroit d(u) péché ».
● SOL Y SOMBRA. On retrouve dans ce drame le « sol y sombra » tragique de l'existence espagnole : la vie et la mort, les instincts naturels et leur répression, la liberté et l'autorité, la joie et la douleur. Bref, ce que l'on a appelé le mythe des deux Espagne. Depuis plusieurs siècles, deux Espagnes semblent s'opposer : absolutisme et libéralisme, tradition et innovation, catholicisme et libre pensée, conservatisme et progressisme...et même Don Quichotte et Sancho Panza. Ces oppositions se terminant souvent par de violents conflits comme chez Lorca.
● LE DENI DE RÉALITÉ. Bernarda incarne une attitude pernicieuse typiquement espagnole : le refus de reconnaître une réalité traumatisante. « Les choses sont comme on se propose qu'elles soient » dit-elle. Et à la fin elle s'écriera, contre toute évidence : « ma fille est morte vierge » accordant ainsi la réalité à sa volonté. Cette négation de la réalité, ce refus de voir, comme tel célèbre chevalier, les moulins à vent que pourtant tout le monde voit, peut aller jusqu'à l'aveuglement. A la fin du XIXème siècle p.e. rares étaient les Espagnols suffisamment lucides et éclairés pour regarder la réalité en face : la décadence de leur pays, son délabrement, sa déliquescence. La grande majorité, pensait toujours vivre dans l'Espagne du Cid et de Charles Quint. Cruelle désillusion et un drame pour le pays.
● LE SILENCE. « Silence. Silence, j'ai dit. Silence ! » Cette injonction péremptoire fait tomber sur le drame un silence définitif. Seul le silence permettra de sauver les apparences. Aussi paradoxal que cela puisse paraître dans l'Espagne si bruyante d'aujourd'hui, le silence a toujours été un des maux de la société espagnole. « Le silence monotone et sépulcral de notre existence » comme l' affirmait J.M. de Larra en plein dix-neuvième. Ce silence aussi de l'intolérance qui a si souvent pesé sur la tête de tant d'Espagnols. Ce silence qui a même été gravé dans le marbre par la loi d'amnistie de 1979, le fameux « pacte de l'oubli » qui, au nom de la concorde, enjoint aux uns et aux autres de passer sous silence toutes les exactions et les crimes commis par les deux camps pendant la guerre civile. On se tait, on ne veut pas les voir !

Voilà.Depuis la mort du poète et de son bourreau, l'Espagne a changé profondément et les Espagnols ont pu ouvrir enfin les portes de la terrible maison et aller,en toute liberté s'éclater « au bord de la mer ». Cependant, malgré l'évolution des moeurs et des mentalités, ce qui fait que, socialement, culturellement et historiquement, l'Espagne est l'Espagne, est et restera toujours comme une marque indélébile.



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