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Critique de gerardmuller


De l'amour et autres démons/Gabriel Garcia Marquez (1927-2014)/ Prix Nobel 1982
Carthagène des Indes en Colombie au milieu du XVIIIe siècle : dans le cadre coloré, joyeux et décadent de cette ville du bord de mer des Caraïbes, la jeune Sierva Maria de Todos los Angeles, la fille unique âgée de douze ans à la chevelure d'or interminable de Don Ygnacio de Alfaro y Dueñas marquis de Casalduero, une enfant fruit du viol de son père par sa mère Bernarda Cabrera, est mordue par un chien couleur cendre portant un croissant de lune blanc au front. Chien enragé ou pas ? Il y a suspicion et toute l'histoire va en découler.
Détestée par sa mère Bernarda Cabrera, - une femme égrotante et légèrement dérangée pour qui est bien loin le temps où les ardeurs de son corps l'avait contrainte à acheter Judas, un esclave pour qui elle laissait nuitamment sa porte entrouverte en proie à l'insomnie dans l'attente de sa venue, - elle n'a que son père et les esclaves de la maison et notamment Dominga de Adviento une Noire de pure souche dont elle parle le dialecte, pour prendre soin d'elle.
Son père initie le traitement en lui interdisant certains aliments tels que l'iguane en escabèche et la soupe de tatou. Quant au médecin de famille Abrenuncio de Sa Pereira Cao appelé à son chevet, il ne tient guère de propos rassurants mais a inventé une pilule à prendre une fois l'an, qui améliorerait la bonté du tempérament et prolongerait la vie, cependant causerait de tels troubles de l'esprit les trois premiers jours que seul lui-même s'aventure à la prendre ! Par ailleurs il avait coutume jadis de jouer de la harpe au chevet de ses malades afin de les apaiser dans la douleur et il a toujours prétendu qu'il a passé sa vie à guérir des malades détraqués par les remèdes des autres médecins. Voyant le marquis douter de ses capacités, Abrenuncio lui répond : « Si vous ne croyez pas en moi, vous pouvez toujours vous en remettre à Dieu ! » Rassurant !!
le père désemparé fait le tour des sorciers, apothicaires et vendeurs d'orviétan afin de soigner sa fille : tout y passe, les sangsues, rinçage de la plaie avec l'urine de la petite, les clystères émollients, les juleps d'antimoine, les vésicatoires et sinapismes et autres philtres douteux.
D'emblée au fil des pages de ce roman on découvre des personnages à tout le moins fantasques sinon excentriques et déconcertants. Dans un style merveilleusement coloré on évolue dans le burlesque et la truculence. Un régal !
de fil en aiguille, la pauvre enfant est soupçonnée par l'évêque du diocèse, don Toribio de Caceres y Virtudes, un vieillard connu pour sa sapience, de rage et même de possession diabolique, ce qui la conduit directement au couvent de Santa Clara pour y être enfermée et confiée à un prêtre exorciste, Don Cayetano Alcino del Espiritu Santo Delaura, la trentaine avec une mèche blanche en forme de croissant de lune dans les cheveux, bibliothécaire du diocèse et homme de guerre de l'évêque inquisiteur, adepte inconditionnel des saintes huiles, armes élémentaires dans la guerre contre le démon. Exorciste qui est persuadé que nous attribuons au démon certaines choses que nous ne comprenons pas, sans penser que ce que nous ne comprenons pas peut venir de Dieu. Il affirme : « Rien n'est plus utile que le doute exercé à bon escient. » Avec Don Cayetano en charge de son âme et de son salut spirituel, contre toute attente la petite va vivre une passion folle et destructrice, et ipso facto maudite.
« Récite avec moi, dit Delaura à la petite : Entre vos mains enfin je m'abandonne. »… Elle obéit et répète : Où je sais que je mourrai », tandis qu'il délaçait le corsage de ses doigts glacés… » « Ils roulèrent dans des abîmes de volupté jusqu'aux limites de leurs forces : exténués mais vierges, car il avait décidé de respecter ses voeux jusqu'au jour du sacrement. » de délires en défis vésaniques, ils vivent leur passion mutuelle avec ses langueurs et ses incendies. Jusqu'au jour des dernières épreuves d'exécution de l'exorcisme…
Marquez, inventeur du réalisme magique nous offre ici un roman d'amour baroque surréaliste et poétique fruit d'une flamboyante imagination, à la croisée de l'Histoire et de la légende, du mysticisme et de l'érotisme.
Citation dans la bouche du docteur Abrenuncio : « L'amour est un sentiment contre nature qui condamne deux inconnus à une dépendance mesquine et malsaine, d'autant plus éphémère qu'elle est plus intense. » À méditer ! Et aussi : « Il n'est de médecine qui guérisse ce que ne guérit pas le bonheur. »
Par la petite histoire on apprend que le couvent des clarisses fut transformé au XIX e siècle en hôpital et qu'en 1949, il fut vendu pour qu'y soit construit en lieu et place un hôtel cinq étoiles. le cryptes furent vidées de leur contenu, cercueils pourris et ossements, bijoux, étoffes et cheveux, plaques commémoratives dont celle de Don Ygnacio de Alfaro y Dueñas marquis de Casalduero. C'est dans la troisième niche de l'autel majeur que l'on découvrit une chevelure immense cuivrée encore collée à un crâne d'enfant ; sur la pierre taillée on put lire Sierva Maria de Todos los Angeles ; déployée à terre , la splendide chevelure mesurait vingt deux - mètres et onze centimètres.
En conclusion, un très bon moment d'une lecture d'un roman allégorique dépaysant et étrange où l'auteur mêle habilement l'Histoire et la légende, sans oublier la symbolique du croissant, sur la tête du chien, dans les cheveux de Don Cayetano et lors de l'éclipse solaire. La forme de croissant que prend une éclipse est due à l'obstruction de la lumière par l'ombre. Ainsi tout au long du récit renaîtra ce combat entre l'ombre et la lumière. Magnifique !
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