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Critique de Antyryia



Le hasard a voulu que je commence ce thriller alors que j'étais dans la salle d'attente du centre anti-douleurs. Un service à part de l'hôpital d'Arras spécialisé dans ce domaine, et vers lequel j'avais été dirigé en raison de céphalées récurrentes, difficiles tant à combattre qu'à gérer.
Plusieurs conseils m'ont été prodigués, tant au niveau des traitements que de l'hygiène de vie, mais jamais le médecin ne m'a demandé de donner un nom à la souffrance, ni de lui parler gentiment.
Sinon, voilà ce que ça pourrait donner :
- Bonjour Migraine, comment vas tu aujourd'hui ?
- ...
- Je ne t'attendais pas si tôt, d'habitude tu arrives plutôt le week end. Qu'est-ce qui t'amène ? Je constate que tu as préféré t'installer sur le côté gauche aujourd'hui !
- ...
- Bon, apparemment tu n'as pas grand chose à dire. Tu sais quoi ? Tu n'as qu'à partir et revenir une autre fois. Je te cuisinerai un doliprane à la béchamel ou une purée carottes-nurofen.
- ...
- Je suis désolé mais je n'ai vraiment pas beaucoup de temps à t'accorder aujourd'hui, j'ai une critique à rédiger.
Et le médecin ne m'a pas non plus parlé de nos corps qui sont régentés par les pompiers ( les médicaments, l'alcool : tout ce qui peut être ingurgité pour combattre le mal ou endormir la douleur ), les exilés ( nos traumatismes et nos émotions qui s'expriment ) ou les managers qui exigent quant à eux que l'on soit assez forts pour supporter la douleur.

Ces conseils seront cependant ceux reçus par D.D. Warren, personnage récurrent de la bibliographie de Lisa Gardner.
C'est le septième roman qui la fait apparaître ( après Arrêtez-moi ), mais respecter la chronologie des enquêtes m'a paru pour le coup totalement inutile : Il n'y a pas ou presque d'allusions à l'antériorité des principaux personnages.
La policière a été victime d'une fracture par arrachement de l'épaule gauche.
( Rien que de l'écrire, ça me fait mal )
"Les fractures par arrachement figurent parmi les lésions les plus douloureuses qui soient."
Les circonstances ? Elle ne s'en souvient pas. Elle est tombé dans les escaliers sur une odieuse scène de crime, après avoir tiré trois coups de feu.
Incapable de serrer son enfant dans ses bras ou de tenir une arme, D.D. Warren souffre le martyre depuis six semaines. Elle dort mal, elle est dépendante de son époux pour les gestes du quotidien.
Et c'est ainsi qu'elle sera amenée à rencontrer Adeline Glen, "une spécialiste des thérapies cognitives pour le traitement de la douleur."

Adeline aussi a un rapport complexe à la douleur.
"En raison d'une mutation génétique extrêmement rare du gène SCN9A, je ne sens pas la douleur."
L'insensibilité congénitale existe réellement, même s'il s'agit d'une maladie rarissime. On la croise davantage dans les séries télévisées ou les romans ( Ronald Niedermann dans Millenium, pour ne citer que lui ).
Ne jamais souffrir paraît de prime abord plutôt sympathique. Mais évidemment, la douleur est un besoin nécessaire, raison pour laquelle il faut lui être reconnaissant.
( J'ai cependant du mal à considérer comme très utiles mes maux de tête, et je doute que les personnes souffrant d'arthrose remercient leur corps à chaque crise )
"La douleur est très utile. C'est un signal d'alarme qui vous apprend à reconnaître le danger et à prendre conscience des conséquences de vos actes."
Et effectivement, dans les rares cas répertoriés de cette maladie, seuls 40% des individus arrivent à l'âge adulte. Les bébés se tranchent la langue en faisant leurs dents, les brûlures ont des conséquences désastreuses vu que le signal "c'est trop chaud" n'arrive pas jusqu'au cerveau, les coupures sont sans effet, et forcément, même si la maladie est reconnue à temps, le corps peut rapidement devenir un champ de ruines.
Aidée par son père adoptif, Adeline arrivera à l'âge adulte sans trop d'encombres, mais restera fascinée par cette notion de douleur.

Sa particularité ne s'arrête pourtant pas là.
Elle est née dans une famille pour le moins particulière.
Sa grande soeur Shana a été incarcérée à vie pour le meurtre d'un jeune garçon de douze ans. Elle même n'en avait que quatorze. En prison, elle réitérera ses exploits criminels en assassinant une codétenue et deux gardiens.
Cette femme incapable d'éprouver des sentiments, adepte de l'auto-mutilation, s'avère être tant une redoutable manipulatrice qu'une prédatrice. La relation ambiguë des deux soeurs, miroirs l'une de l'autre, sera largement explorée tout au long des 550 pages de ce thriller.
Quant à leur père, Harry Day, lui aussi traîne quelques casseroles.
"Si la souffrance est une preuve d'amour, alors notre père aimait beaucoup notre mère."
Il était quarante ans auparavant un célèbre tueur en série, auteur d'au moins huit meurtres. Il s'est suicidé avant d'être arrêté par la police.
Certains collectionnent les livres, les timbres, les papillons... Lui son truc c'était plutôt les lanières de peau humaine.
Ce qui peut réellement faire souffrir Adeline finalement, c'est sa famille. Son héritage. Et ses rares souvenirs.

Quant au tueur qui sévit aujourd'hui, celui que doivent découvrir D.D. Warren et ses collègues ( Phil, Neil ou encore son mari Alex, expert en scènes de crime ), il a un mode opératoire assez particulier.
"L'assassin était animé par le besoin compulsif d'écorcher sa victime."
"Même scénario : Victime écorchée, rose posée sur le ventre, bouteille de champagne posée sur la table de nuit."
Il entre chez ses victimes sans effraction, les exécute, et ensuite découpe des lambeaux de peau. Et pourtant, malgré le carnage et la mise en scène préméditée, il ne reste pas une seule goutte de sang ni trace d'ADN.
Quel est le lien avec un tueur mort quarante ans plus tôt ?
Qui imite les crimes d'Harry Day, et dans quel but ?
Comment Shana, enfermée depuis trente ans, pourrait être liée à cette vague de meurtres ?
Et si le goût du sang était transmis de père en filles, Adeline pourrait-elle être impliquée ?
"Vous ne ressentez pas la douleur, alors vous jouissez de celle des autres ?"
Qu'a vu D.D. Warren la nuit où elle a dévalé les marches, et pourquoi l'a-t-elle occulté ?

Même si je ne lis actuellement quasiment plus que des romans policiers, je me suis rendu compte avec A même la peau que ça faisait bien longtemps que je n'avais pas lu d'histoire de tueur en série, aux crimes particulièrement sanglants, choquants, répugnants et gratuits. Ce qui est bien la preuve que les genres du polar évoluent énormément puisqu'à une époque j'avais l'impression que les histoires de tarés qui prenaient leur pied à découper leurs victimes de toutes les façons possibles et imaginables envahissaient systématiquement mes pages.
Que l'horreur comptait davantage que la psychologie.
Heureusement, ici Lisa Gardner ne se contente pas d'une enquête sur une succession de meurtres macabres . Les thèmes abordés sont nombreux, et parler de la douleur ainsi, via le personnage attachant d'Adeline, est d'autant plus intéressant que ces nouvelles façons de soigner existent, même si elles rendent sceptiques de prime abord.
Qu'il s'agisse de la violence en prison, des foyers d'accueil, du rôle du patrimoine génétique ( "Le sang est une preuve d'amour" ) dans la criminalité, de la fascination du public pour les tueurs en série, de l'importance des liens familiaux ; les sujets demeurent variés et intéressants.
On est dans le rythme dès les premières pages, et même si celui-ci faiblit de temps en temps et que le roman aurait gagné en intensité avec quelques chapitres de moins, les rebondissements et les imprévus sont suffisamment nombreux pour vouloir connaître le mot de la fin le plus rapidement possible.

Malgré tout, plus j'ai avancé dans ma lecture et moins le roman a emporté mon adhésion. Déjà, les histoires de tueurs en série m'intéressent moins qu'avant, en tout cas si elles ne sont pas abordées sous un angle suffisamment original. Et sans être un expert des procédures policières américaines, j'ai trouvé le déroulé de l'enquête peu crédible.
D.D. Warren, blessée, est en arrêt à cause de sa blessure et attend que les affaires internes aient décidé de son sort au cas où elle aurait commis une faute professionnelle la nuit de sa chute.
Et pourtant, elle est de tous les interrogatoires, elle vadrouille sur chaque scène crime, elle est informée de chaque piste et continue allègrement à enquêter, soit-disant au titre de consultante.
Pour Adeline, c'est rapidement la même chose alors qu'elle n'est au départ que thérapeute. Alors oui, les deux femmes sont impliquées dans cette
affaire personnellement, menacées chacune à leur façon, mais leur implication dépasse l'entendement dans le cadre d'une enquête pour mettre la main sur un tueur récidiviste.
D'autres scènes, notamment dans la prison de haute sécurité, m'ont également semblé plus que tirées par les cheveux. J'ai souvent eu l'impression que l'intrigue avançait au détriment de tout réalisme, de toute subtilité. Et ça, c'est quand elle avance parce que ça n'est pas toujours le cas, plusieurs chapitres sans intérêt auraient pu être escamotés.
Le fin mot de toute cette histoire m'a lui aussi laissé un arrière-goût amer, tant la motivation de ces meurtres m'a paru invraisemblable.
Et pourtant, je ne suis pas du tout du genre à essayer de relever chaque invraisemblance, mais là elles m'ont vraiment sauté aux yeux et cette histoire, je n'y ai par conséquent jamais cru, totalement détaché des faits comme des personnages.
Et il reste trop de questions sans réponse.

Juste la moyenne donc pour mon second Lisa Gardner ( Sauver sa peau ne m'avait pas non plus laissé un souvenir impérissable ). Parce que malgré ses longueurs et ses incohérences, A même la peau m'a initialement intrigué voire absorbé et ce n'est pas parce que le souffle est ensuite retombé que je dois oublier le bon moment initial que ce roman m'a fait passer. En outre l'écriture est très agréable, et le livre se lit facilement même si on n'en garde pas forcément grand chose une fois la dernière page tournée.

En tout cas, la prochaine fois que vous aurez mal au dos ou que vous vous casserez une jambe, n'oubliez pas à quel point vous avez de la chance d'avoir aussi mal, quitte à parler tranquillement avec votre souffrance, pourquoi pas autour d'un thé et de petits gâteaux ?
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