"Je veux John", disait-il quand j'étais seul à pouvoir l'entendre. Et quand il prononçait ces mots, les larmes lui montaient aux yeux et perlaient sur ses joues ; elles ne soulevaient plus en moi la pitié mais la rage. Car chacune de ses larmes me rappelait à quel point mon grand frère me manquait, à moi aussi. Son absence était une douleur constante qui ne me quittait jamais.
Mais, malgré toutes les promesses non tenues, malgré tous les petits cœurs brisés et toutes les larmes versées quand les rêves se transformaient en espoirs déchus, tous ces garçons avaient une chose que Davie et moi n'avions pas : une famille qui venait les voir.
Le changement, comme je l'avais appris très tôt, était rarement une bonne nouvelle.
Je sentis la main de Davie se serrer autour de la mienne ; il avait peur d'elle.
Et quand je vis sa peur, je me mis à pleurer.
Mes pitoyables pleurs se mêlèrent aux gémissements de Denise, à l'avant de la camionnette. Notre petite sœur, sensible à notre détresse, s'était mise à hurler de toute sa voix.
L'indifférence de Gloria nous assurait la liberté, mais désormais, nous n'étions plus que des enfants qui devaient obéir aux adultes. Les enfants n'avaient aucun droit.
J'étais toujours en proie à une sensation de vide, comme paralysé, inaccessible aux sentiments.
Mon sentiment de panique se calma quelque temps, mais l'angoisse demeurait tenace. Qu'allait-il se passer, maintenant? Est-ce que les choses pouvaient redevenir normales? J'avais l'horrible pressentiment que non.
Le vacarme tonitruant de bruits de pas dans l'escalier, d'éclats de voix et des cris de Gloria satura ma tête à m'en faire mal. Je mis les mains sur mes oreilles je voulais que tous ces bruits cessent.
Si, face à ces enfants qui rayonnaient de la confiance d'être aimé, nous ressentions un vide, ce trou dans l'estomac que l'affection aurait dû remplir, nous n'en disions rien. Car exprimer quelque chose, c'est lui donner une réalité ; et nous étions heureux, non?