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Critique de enjie77


Lady L., toujours aussi belle, fête ses quatre-vingts ans, entourée de ses petits enfants et arrières petits enfants sous le regard énamouré de son cavalier servant et souffre-douleur : Sir Percy-Rodiner, Poète-Lauréat de la Cour d'Angleterre depuis vingt ans.

Toute sa famille se presse autour d'elle. Installer dans un fauteuil, une main posée sur le pommeau de sa canne, son petit fils Roland, titulaire d'un ministère sans importance, à sa droite, Anthony, bientôt évêque, à sa gauche, Richard, lieutenant-colonel du régiment de la Reine et James, directeur de la Banque d'Angleterre à l'arrière. Dès le lendemain, la photo sera en première page du Tatler ou de l'Illustrated London News. C'est dire si l'épouse de feu le Duc de Glendale figure au patrimoine national britannique ! Longtemps considérée comme une excentrique, à ce jour, l'Angleterre toute entière lui a pardonné ses écarts.

Près d'elle, un guéridon couvert de télégrammes et de messages dont plusieurs viennent du Palais de Buckingham.

Aussi, lorsque l'un de ses petits fils lui apprend que le terrain où est bâti un petit pavillon, situé au fond du domaine, doit être préempté par l'état et de ce fait détruit, elle ne peut s'y résigner et emmène son ami Percy visiter cet endroit, un étonnant mausolée où sont entreposés des objets qui racontent sa vie. de bibelot en tableau, Lady L. confie l'histoire de sa jeunesse. Née Annette Boudin, elle fait exploser le masque sous lequel elle vit depuis toutes ces années, sous les yeux effarés de son soupirant

J'ai adoré ce livre. Romain Gary fait partie de mes auteurs préférés mais avec ce roman je lui ai découvert un sens de l'humour « so british » qui m'a enchantée. Il a écrit ce roman, ce conte peut-on dire, en 1959 en anglais avec une parution en 1963. Les dialogues sont savoureux surtout ceux de Lady L. J'ai aimé cette aristocrate impudente, cynique, moqueuse, j'ai rit, j'ai sourit devant sa manière de faire valser toutes les conventions.

« Que le fils du Duc de Glendale put ainsi s'abaisser (à faire de la politique) lui paraissait vraiment choquant. Gouverner était un métier d'intendant et il était normal qu'un peuple choisit ses domestiques, c'était cela après tout la démocratie ».

C'est un roman extrêmement intelligent, bien construit, à plusieurs niveaux de lecture. Imaginer Sir Percy en train d'écouter les confidences de cette magnifique aristocrate octogénaire qui est, en réalité, Annette Boudin, fut un grand moment jubilatoire.

Ancienne anarchiste, prostituée occasionnelle de la rue du Gire à Paris, René-la-Valse va lui ouvrir la porte qui la mène vers « La plus belle canaille de Paris ». Elle pénètre le monde de Ravachol, de Kropotkine, mais c'est le fascinant Armand Denis, anarchiste célèbre, qui sera le grand Amour de sa vie. Une passion dévorante la consume. Elle est prête à tout pour Armand et se retrouve mêlée à toutes les combines y compris si la cause l'exige, celle de verser le sang.

Rien ne sera épargné à ce pauvre Sir Percy et il est facile de se le représenter effaré, consterné par les révélations de Lady L. Il reste abasourdi, accablé, révolté. Je voyais Sir Percy se décomposer sous mes yeux tant la plume de Gary m'entraînait dans ce petit pavillon au fond du domaine de Lady L. et j'entendais le son de la voix de notre aristocrate, à la fois autoritaire mais avec une pointe d'ironie derrière, toujours ravie de pouvoir choquer. Pauvre Sir Percy qui apprend à ses dépens qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

« - Pour l'amour du ciel Percy, posez votre tasse. Vos mains tremblent. Vous vous faites vieux.
-Vous voir pleurer me ferait trembler même si j'avais vingt ans. Cela n'a rien à voir avec l'âge.
- Eh bien, débarrassez-vous de votre tasse et écoutez-moi. Je suis dans une situation horrible….. Bon voilà que vos genoux se mettent à trembler aussi. J'espère que vous n'allez pas tomber mort de saisissement. Comment est votre tension ?
-Mon Dieu, je viens justement de me faire examiner des pieds à la tête par Sir Hartley. Il m'a trouvé en pleine forme.
-Tant mieux. Car il va falloir que vous vous prépariez à subir un choc, mon ami. »

Ce qui est brillant, c'est qu'autour de quelques faits réels, Romain Gary parvient à broder une histoire qui est à la fois une satire de l'Angleterre Victorienne et une réflexion philosophique du milieu anarchiste des XIX et XXème siècles. Quelle imagination fertile !

Et encore, je ne vous ai pas tout dit ! Avec Lady L. « un moment de distraction » peut avoir de fâcheuses conséquences.

« Ah ! Fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu'ingénument je vous le disse,
Que fièrement vous vous tussiez.

Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et que je vous idolâtrasse,
Pour que vous m'assassinassiez…. »


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