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Critique de Zebra


« Les racines du ciel », prix Goncourt 1956, est un roman écrit par Roman Kacew, écrivain plus connu sous le nom de Romain Gary. Paru en novembre 1972 chez Gallimard dans la collection Folio, l'ouvrage compte 495 pages.

L'histoire se déroule dans les années 1950, au Tchad, ex-Afrique Équatoriale Française. Des européens aux origines et aux objectifs peu explicites ont décidé de s'y installer, pour y écouler une vie en « père peinard », se livrant à de menus trafics, au nez et à la barbe des autorités locales, complaisantes et soudoyées. Dans ce contexte, Morel souhaite sauvegarder les éléphants, victimes de véritables tueries, aussi bien de la part des colons blancs que des populations indigènes. Morel prépare et fait signer des pétitions puis, devant le peu de résultat de ses efforts, il décide d'utiliser les armes contre les chasseurs d'éléphants et d'incendier les dépôts des recéleurs d'ivoire. Morel est rejoint dans son combat par quelques nationalistes et quelques politiques indigènes qui se servent de lui pour se faire connaître. Suspecté d'être un agent double à la solde de l'URSS, envoyé en AEF pour y fomenter des désordres, Morel devient l'homme à abattre : administrateurs coloniaux, chasseurs, contrebandiers, jésuites, chef de tribu, …, tous veulent sa peau. Ce livre (page 449) relate le procès (par contumace) de Morel, l'homme qui défendait les éléphants.

L'écologie est la colonne vertébrale de l'ouvrage : (page 129) tout ce qui m'intéresse, l'essentiel, c'est la protection de la nature. L'auteur dénonce le massacre des éléphants et fait la promotion de leur sauvegarde. Massacrés par milliers pour fournir des monceaux de viande fraiche aux chasseurs africains, des tonnes d'ivoire aux trafiquants, du travail aux guides des safaris, les éléphants détruisent les plantations des paysans : faut-il les exterminer ou les protéger ? L'auteur considère qu'il faut les protéger, les préserver de la barbarie et de la cruauté sous toutes ses formes ; il revendique la dignité des éléphants, à tout prix. Ce roman est polyphonique en ce sens que tous les personnages (voir plus loin) s'expriment et témoignent à tour de rôle à propos de la personnalité de Morel et de son combat.

Les personnages sont très nombreux et assez complexes, par leurs intérêts, leurs profils, leurs parcours et leurs psychologies : Mina, une berlinoise, strip-teaseuse au bar « le Tchadien », sans papier et paumée dans ce monde de baroudeurs ; Saint Denis, un jésuite fuyant le monde et les hommes ; Idriss, le meilleur pisteur de l'AEF ; De Vries, un ancien légionnaire, partant à la chasse par tous les temps, pour le plaisir ; Habib, un homosexuel libanais donnant dans la contrebande d'armes ; Ornando, célèbre journaliste américain, venu enquêter sur la « folie » Morel ; Korotoro, un déserteur de l'armée française, lié à Morel par amitié ; Sarkis, un syrien, organisateur de battues en représailles contre les éléphants qui piétinent les champs ; Waïtari, proche des Frères Musulmans au Soudan ; Robert Sajean, député et fervent partisan d'un réel développement culturel, social et économique en Afrique ; des journalistes se faisant extorquer des sommes impressionnantes par des émissaires mystérieux qui leur offrent de les conduire jusqu'à Morel puis s'évaporent avec l'argent versé pour l'achat de certaines complicités, rejoignant leur vase profonde après une cuite monumentale ; des fonctionnaires français d'Afrique n'obéissant pas aux ordres qu'ils reçoivent mais faisant une politique bien à eux ; Youssef, Orsini, Prostrach, Challut et quelques autres …

L'ouvrage est globalement intéressant et lucide mais il est trop dense (les pages se suivent sans aération, saut de lignes ou de paragraphes), il est écrit tout petit, présente quelques longueurs et beaucoup de répétitions.
Et puis le monde africain nous est projeté en mode simpliste et binaire (les bons contre les méchants), comme dans un vieux documentaire en noir et blanc : les éléphants (page 46), splendeurs naturelles, géantes et maladroites que l'on retrouve (page 51) empalés dans des fosses, agonisant pendant des jours ou brûlés au ventre par les feux de brousse, criant dans la nuit (savez-vous qu'il existe un langage des éléphants ? – page 68 – et que 80% des captures meurent dans les premiers jours ? – page 133) ou réduits à l'état de corbeilles à papier (les pieds d'éléphants), ou de boules de billards ou de coupe-papier ; dans les rites magiques – page 227 – les testicules d'éléphants jouent un rôle essentiel puisque les adolescents chasseurs acquièrent ainsi le droit de se marier ;les pistes sont impraticables à la saison des pluie (page 34) ; les paysannes (page 80) faisant 30 km à pied dans la nuit pour aller vendre une poignée de cacahuètes, se dirigeant vers le marché avec leur démarche de reine, un mouchoir noué sur sur la tête.
De plus, l'humour y est rare (page 202 – « J'ai mené mes enfants au zoo du Bronx pour leur faire voir les éléphants mais j'ai oublié de le mentionner à la Commission Sénatoriale au moment de l'enquête sur ma loyauté »).
Et pour finir, l'ouvrage promène et perd le lecteur au milieu de plusieurs thématiques : préservation des espèces, humanisme, anticolonialisme, lutte contre la faim, droit des peuples à prendre leur avenir en main, création de réserves et de parcs naturels, cohabitation entre une Afrique moderne et une Afrique ancestrale, l'Afrique et l'Islam (Morel aspire à la justice, la liberté, l'amour, la protection, l'égalité des hommes, la fraternité, la générosité et le désintéressement ; ces valeurs sont les racines du ciel au sens de l'Islam (page 222), des racines profondes mais menacées ; et c'est auprès des Frères Musulmans au Soudan que Waïtari va tenter de chercher les fonds qui lui permettrait de bâtir une Afrique islamisée (page 312) qui serait dans le monde une force irrésistible) … posant plein de questions sans apporter la moindre solution.

En conclusion, Romain Gary a écrit un roman « écologique », fourre-tout et militant. « Les racines du ciel » reste toutefois un livre qui ne peut laisser indifférent.
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