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Critique de StCyr


StCyr
07 novembre 2013
Les racines du ciel sont les aspirations à la justice, à la liberté et à l'amour que l'homme porte en soi. Qualifié par certains de “premier roman écologique”, ce récit a pour cadre l'Afrique-Equatoriale française, c'est à dire le Tchad à l'époque coloniale, quand sa capitale, Ndjamena, s'appelait encore Fort-Lamy, alors que la Guerre Froide et son péril nucléaire, telle une épée de Damoclès, menace l'avenir de la planète dans son ensemble. On y découvre une Afrique oscillant entre plusieurs pôles géopolitiques : la tentation du communisme, le nationalisme africain à la Nasser et l'islamisme des frères musulmans.

Le récit s'ouvre sur la rencontre entre Saint-Denis, dernier gardien des éléphants, fonctionnaire rétrogradé et le Jésuiste Père Tassin, paléontologue. Leur discussion a pour sujet le dénommé Morel, que les indigènes surnomment Ubaba Giva, c'est à dire “l'ancêtre des éléphants”. C'est la figure centrale du récit, autour duquel gravite toute une galerie de personnages. Bienfaiteur désintéressé pour certains, dont l'idéalisme pur dans sa naïveté confine à la bêtise pour les observateurs plus cyniques, misanthrope et anarchiste pour les autres, ce rescapé des camps de concentration à repris le maquis pour la cause des grand pachydermes, les éléphants. Autour de lui viens se greffer un grand nombre de figures dont les destinées antérieures révélées et les témoignages apportés au cours de l'instruction et du procès ayant trait “aux événements” donnent tout le relief à cette histoire. Analespse, récits dans le récit, la grande variété des moyens narratifs qu'emploient Romain Gary étoffent grandement la profondeur psychologique du roman. Ainsi on y trouve : le commandant Schölscher, qui mène l'enquête et fut à la tête d'une compagnie de méhariste; Haas dont la profession consiste à capturer des éléphants pour les zoos; les contrebandiers d'armes Habib et De Vries, symbolisant les bandits de toutes sortes, mercenaires, contrebandiers, qui pullulent à l'ombre des grandes causes humanitaires, sorte de gage de réussite terrestre des révolutions de par le monde; Forsythe, l'ancien soldat américain, renégat durant la Guerre de Corée, cynique et alcoolique; Peer Qvist, le naturaliste chenu, toujours prêt à prendre feu pour la sauvegarde des animaux; le père Fargues, blasphémateur et ours mal léché, dévoué à la cause des lépreux et des victimes de la mouche tsé-tsé; Abe Fields, le reporter-photographe américain, dont la seule vocation est de prendre la bonne photo au bon moment; Waïtari,ancien député des Ourès, archétype de ses dirigeants africains passés par nos écoles et universités, farcis d'idéologies, qui voulurent tourner le dos à leurs antiques traditions et coutumes, pour occidentaliser leur pays et finir ainsi, malgré qu'ils en aient, le travail des colonisateurs; et last but not least, Minna la blonde allemande, victime, en son temps de l'entrée des russes à Berlin, tombée amoureuse d'un officier russe, fusillé pour désertion; femme d'un courage et d'une abnégation surhumains, la seule, peut-être qui comprit les motifs et la portée du combat de Morel. Apparaissent aussi, vers la fin du volume, en un recul intéressant, des quidams dans divers pays d'Europe, qui suivent par presse interposée, le combat de Morel, illustrant une certaine solidarité existentielle, une communauté des hommes.
Cette oeuvre dépasse la dimension purement “écologique”, elle propose une réflexion sur la construction d'une légende et son instrumentalisation éhontée, elle montre le double visage de l'idéalisme : utopie désintéressée, réponse poétique à la laideur du monde; ou - à son extrême-, idéologie déshumanisée, pouvant conduire au sacrifice de millions d'êtres humains pour un futur hypothétique.

Hymne à la liberté, à la beauté de la nature, à sa grandiose inutilité face à tous les positivismes et utilitarismes humains, ce roman foisonnant, très actuel, aux multiples imbrications, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs et sa construction complexe et achevée, sait tenir en haleine tout au long de ses 500 pages. C'est l'oeuvre d'un écrivain qui maîtrise son art et sait se renouveler à chaque fois.
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