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Critique de Kirzy


Kirzy
29 février 2024
Direction la Champagne pour une drôle d'enquête : dans un bourg de 700 habitants, l'EHPAD serait hanté, des aides-soignantes et des résidents auraient vu et entendu les fantômes de deux fillettes; la rumeur dit qu'elles auraient été retrouvées noyées dans un étang le 9 mai 1978, se tenant la main, vêtues de leur aube de communiante. Manon Gauthier-Faure « ignore si un livre se cache derrière cette histoire » mais elle veut dénicher sa « part impalpable de vérité ».

La journaliste a choisi un fait divers minuscule, peu médiatisé, que le village concerné semble avoir oublié. Sa démarche est empreinte d'humilité pour suivre le fil tenu d'une enquête coriace par le manque d'informations. Les archives ont disparu, les témoins ayant connu les fillettes ont des souvenirs distendus par la subjectivité des enfants qu'ils étaient alors.

Elle va à la rencontre des habitants sans aucun préjugé ni condescendance, ouverte à la parole qu'elle s'apprête à entendre. Lorsqu'elle recueille les témoignages sur les faits paranormaux qui se seraient déroulés dans l'EHPAD, elle accepte de ne pas s'en tenir l'objectivité cartésienne à laquelle elle est accoutumée, elle accepte de voir son sens critique entamé, que ses terreurs enfantines se réveillent. Lorsqu'elle aborde les habitants du village en 1978, elle le fait avec une empathie sincère et un respect pudique, écoutant des histoires qui se font de plus en plus intimes et révèlent l'évolution d'une vie, d'un village, d'un territoire rural pauvre de la Champagne crayeuse.

Manon Gauthier-Faure se laisse porter par ses rencontres. Ce sont elles qui modèlent le récit et lui donnent une tournure protéiforme, passant de son « je » à des passages à la troisième personne relatant la mort des fillettes ( le chapitre V « la chasse aux escargots » est particulièrement réussi, rythmé et haletant). On est frappé de voir à quel point les villageois lui ouvrent leur porte, se racontent, ont souvent besoin de le faire, face à une inconnue dont jamais le regard ne se place dans un surplomb arrogant.

Les fillettes mortes retrouvent ainsi leurs prénoms, noms, parents, frères et soeurs, personnalités, des jeux d'enfants, des amis.Et c'est très émouvant de lire leur mémoire ressuscitée et découvrir une vérité bien éloignée des rumeurs de l'époque sur cette famille pauvre dite « marginale ». Les apparitions surnaturelles ont mis fin à une longue amnésie collective dont la journaliste soulève les mécaniques inconscientes d'une culpabilité elle-aussi collective.

Finalement, à partir de pas grand chose, l'autrice a écrit un récit prenant qui parvient, l'air de rien, tout en douceur et sensibilité, à faire coexister, main dans la main, l'évanescence du paranormal et la triste réalité du décès d'enfants. Elle débusque le symbolisme, le signifiant derrières la survenue de ces fantômes dans l'EHPAD. Aucune résolution au sens strict n'est imposé, pas de révélation fracassante non plus. Et c'est tant mieux. Moi, la cartésienne, j'ai eu envie de croire à l'irrationnel pour me dire que ces fillettes du passé pouvaient être sauvées en devenant de petits fantômes qu'on entend, qu'on écoute et qu'on n'oublie pas.


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