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Critique de oiseaulire


"Passionnément Moyen Âge : Plaidoyer pour le petit peuple". Rien que le titre de cet ouvrage de l'historienne Chaude Gauvard est un délice.

Claude Gouvard fut une enseignante chercheuse : elle est spécialiste de l'histoire politique, sociale et judiciaire du Moyen Âge.

Élève de Bernard Guenée, son directeur de thèse, elle fut influencée dans sa formation par la méthode de Jacques le Goff et devint maître de conférence à Paris Sorbonne.

Ce qui la passionne essentiellement, c'est l'influence du droit et des tribunaux, laïcs et ecclésiastiques, sur l'évolution des mentalités au Moyen-Âge : c'est un domaine très éclairant tant les sources écrites sont nombreuses.

Elle a pu ainsi laisser un peu de côté l'histoire traditionnelle, trop souvent simple chronique des hauts faits militaires tenue par les biographes officiels des seigneurs, pour se pencher sur la vie quotidienne du petit peuple, constitué en grande partie par la paysannerie (les "vilains", terme issu du latin tardif "villanus", habitant du village).

Ainsi elle a examiné divers lieux-communs à la lueur des jurisprudences et fait de multiples observations qui vont à l'encontre des clichés habituels sur l'époque qui s'étend environ de l'an mille à la fin du XIV ème siècle.

Ainsi, par exemple, l'honneur n'était pas réservé à la seule noblesse. La réputation d'un villageois était le fondement de son statut dans son groupe social et un nom entaché était source d'un grand nombre d'exclusions, notamment économiques et sur le marché des alliances.

Le droit dit de "cuissage" est un terme sur lequel un contresens fondamental a été commis lors de la révolution française et au XIX ème siècle : le mot "cuissage" vient en effet de "cullagum" ou "couillage" signifiant "cueillette" : et il s'agit bien là de cueillettes de redevances qui étaient de deux sortes : si un serf ou une serve se mariait en dehors du domaine de son seigneur, une indemnisation était prévue pour compenser la perte économique infligée à ce dernier ; mais aussi on considérait dans les campagnes que le garçon qui se mariait portait préjudice à l'ensemble des célibataires du village en leur ôtant un parti possible ; d'où une coutume d'indemnisation, le plus souvent symbolique (le marié payait un coup à boire à ses anciens compagnons, ce qui leur permettait de supporter plus joyeusement la perte d'une promise potentielle).

Très vite les ordalies (épreuves de l'eau, du feu), les jugements de Dieu et les duels dont le vainqueur était blanchi, furent règlementés puis interdits, notamment par le pouvoir religieux qui avait à coeur de ne pas laisser le champ libre à des pratiques heurtant trop frontalement le bon sens.

La place des femmes, sans être très enviable, était moins contenue dans la sphère domestique que ce ne fut le cas à partir de la Renaissance, surtout dans le redoutable XIX ème siècle : elles exerçaient des métiers, dont certains leur étaient réservés et où elles pouvaient devenir maître (dans le tissage de la soie notamment) ; elles pouvaient avoir des charges professionnelles représentatives de leur corporation. Elles étaient enfin le coeur des maisonnées, sachant que "la maison" n'avait pas le même sens au Moyen-Âge qu'aujourd'hui : la sphère du monde extérieur était beaucoup plus réduite : en-dehors de la maison se trouvait le village, puis... le grand danger des chemins bordés de forêts inhospitalières).

Les évènements miraculeux tenaient une grande place dans les mentalités, mais il ne faut pas imaginer une crédulité un peu crétine due à l'obscurantisme. Les miracles étaient collationnés après coup et servaient à illustrer dans les récits les actions militaires, les prémices d'épidémies, les incendies et autres évènements funestes (ou fastes : le couronnement d'un roi, la visite d'un dignitaire etc).
(Notons que même en ce qui concerne le dogme de la virginité de Marie, il fut assez long à sortir de l'indifférence : introduit par le synode de Latran en 649, il n'eut raison de l'incrédulité populaire que quand l'Église interdit, sous peine de sanctions, la représentation de Vierges allaitantes ou enceintes et les fit retirer des lieux publics -voir "Le chemin des vierges enceintes, une autre voie pour Compostelle" de Jean-Yves Loude).

D'autres chapitres retiennent l'attention : le grand chantier de Notre-Dame de Paris, dont Maurice de Sully ( XII ème siècle) voulut faire un livre taillé dans la pierre à visée d'enseignement et d'édification pour le clergé et le peuple : allégories et sermons y furent sculptés sur la façade, Victor Hugo n'a rien inventé ; les croisades et l'extermination de l'ordre des Templiers ; les grands mouvements d'épuration des moeurs qui ne touchèrent pas que le monde ecclésiastique et monacal, mais aussi celui des juges ; l'émergence de l'idée d'État...

"Passionnément Moyen-Âge" est un livre touchant car il émane d' une intellectuelle et d'une érudite spécialiste de l'époque médiévale, mais qui a eu à coeur de se mettre à portée du néophyte sans pour autant abandonner la rigueur de la recherche fondée sur les documents et l'archéologie.

Il en émane une grande tendresse envers les "vilains" et les "manants", trop souvent oubliés ou maltraités par l'histoire.


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