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Critique de Woland


Twilight

Traduction : Jean-Paul Gratias

ISBN : 9782070439720

Bien que publié sous l'étiquette du thriller, ce roman de William Gay me paraît appartenir plus justement au genre du roman noir. Poétique, à certains moments onirique, avec une pointe - peut-être l'ai-je sentie à tort - de fantastique à la dernière page, le récit a pour décor le sud des Etats-Unis, très précisément, si je ne me trompe pas, le Tennessee et cette Amérique qu'on dit profonde, et donc fortement rurale, en l'an de grâce 1951.

Tout commence par un charroi de cadavres - y compris celui d'un chien portant des boucles d'oreilles - que le vieux Sandy ramène de la ferme des Calvert, en provenance du Harrikin (le coin le plus reculé de l'Etat). Il y a aussi un entrepreneur de Pompes funèbres pas très catholique mais pour l'instant insoupçonnable, du nom de Fenton Breece, qui s'amuse à faire subir aux cadavres qu'il embaume des "expériences" peu sympathiques et carrément nécrophiles. Comme ces tueurs en série qui ont besoin de "trophées", dont la découverte finit toujours par les perdre mais qui leur permet de fantasmer et de refantasmer entre deux crimes, Breece a eu l'idée bien imprudente de se prendre en photo avec différents cadavres et dans des poses qui ne laissent rien à l'imagination. Or, Corrie et Kenneth Tyler, qui soupçonnent Breece de n'avoir pas inhumé décemment leur père, déterrent le cercueil de celui-ci, font la même chose dans quelques autres tombes pour être bien sûrs de ce qu'ils ont vu et puis finissent par découvrir les fameuses photos.

Corrie, jeune fille qui n'a pas froid aux yeux, décide de faire chanter Breece, ceci malgré l'opposition de son frère qui, comme il le dit lui-même, ne veut pas être mêlé à ça. En représailles, Breece réclame l'aide, évidemment facturée au prix fort, d'un individu bizarre, qu'on suspecte plus ou moins d'avoir déjà tué et que le procureur du comté voudrait bien pouvoir expédier sous les verrous, un certain Granville Sutter.

A partir de là, la machine s'emballe. Corrie confie les photos à son frère. Sutter la tue et se met en chasse, traquant impitoyablement Kenneth tandis que le corps de Corrie échoue chez Breece, lequel, tombé véritablement amoureux de celle qui voulait le faire chanter, s'abandonne en paix à ses pratiques malsaines. Les deux tiers du livre reposent sur la traque menée par Sutter mais aussi sur un parallèle, très ambigu, que Gay semble établir entre la proie et le chasseur. Tyler est jeune, intègre et n'a pas eu une enfance très heureuse. Sutter, d'un âge plus mûr, possède la froideur d'un tueur authentique mais n'a pas eu non plus, on s'en rend compte par de rares retours en arrière, une enfance idéale. Grand buveur quand il était jeune, aimant volontiers à faire des blagues pas toutes de très bon goût, quand Sutter a-t-il basculé et pourquoi ? Et pourquoi Tyler, jusqu'au bout, met-il tout en jeu pour ne pas avoir à le tuer ? Tyler veut lui échapper, cela se comprend, il veut que cesse cette poursuite implacable, obsessionnelle, à travers une Amérique rurale qui n'est pas sans évoquer Erskine Cardwell ou Flannery O'Connor mais, autant que possible, il ne veut pas le tuer. Il veut tout simplement remettre les fameuses photos au sheriff Bellwether afin que Breece soit mis en accusation et puni comme il se doit, la remise de ces photos aux autorités bloquant de facto la traque de Sutter.

C'est si simple, dans le fond, ce que veut le jeune Tyler. Mais la vie, elle, n'est pas simple. Ici, elle se révèle déglinguée, parfois loufoque, avec des personnages qu'on pourrait qualifier de biscornus quand ils ne sont ni alcooliques, ni carrément dérangés, et une longue, très longue traversée de cette espèce d'enfer qu'est le Harrikin (prononciation simplifiée issue de l'ouragan, hurricane, qui a un jour parcouru cette région), avec ses bois griffus, ses rochers abrupts, sa cité minière abandonnée, ses fermes disséminées dans l'isolement, ses puits naturels dont l'un "hurle" par grand vent comme le ferait un chien à la mort, ses maisons en ruines, çà et là et les rails, les rails du chemin de fer qui indiquent à Tyler, quand il les trouve, dans quelle direction se diriger.

Roman qui pèse son poids de noirceur, cette noirceur en apparence gratuite et insensée qui empoisonne certaines existences, "La Mort Au Crépuscule" vaut mieux que sa couverture bêtement gore. Mais, pour le lire, il faut aimer à la fois le roman noir et le roman du Sud des USA qui s'enlacent ici pour donner une sorte de poème en prose, hypnotique fuite en avant de deux individus qui, en d'autres circonstances, auraient pu fort bien s'entendre. C'est la conclusion à laquelle j'ai personnellement abouti. Peut-être est-elle erronée et pourtant ... La dernière page, qui voit Tyler grimper dans une voiture similaire à celle que pilotait Sutter et qui s'arrête pour le prendre en stop, est un modèle, à mon sens, d'ambiguïté. A lire donc, ne serait-ce que par curiosité et pour la réelle puissance poétique du texte. ;o)
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