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Critique de HordeDuContrevent


Je ressors de cette lecture avec la même sensation d'oppression et d'étrangeté que lorsque j'avais lu « Shutter Islands » de Denis Lehane.

Vous rêvez d'îles paradisiaques, au climat tempéré, eau turquoise, sable blanc et cocotiers ? Alors les « Farallon Islands » ne sont pas pour vous car ces îles sont tout, sauf ça.
Ces îles océaniques au large de San Francisco, archipel composé d'îlots miniatures, sculptés de roches acérées et abruptes, ne pouvant pas accueillir de vie végétale, battus par le ressac, sont particulièrement sauvages et rudes.
« Il y a longtemps, on appelait cet endroit l'archipel des Morts. Maintenant je comprends pourquoi. L'île du Sud-Est fait à peine plus d'un kilomètre carré de surface. Les autres îlots sont nus, pelés, déchiquetés. Pas une seule plage de sable. le rivage est veiné d'algues, les pics escarpés et morcelés ».
Cet archipel je ne le connaissais pas et l'ai découvert avec ce livre. Il faut une journée de bateau pour le rejoindre depuis le continent à bord de l'unique navette qui permet hebdomadairement le ravitaillement. Accoster sur cette île est impossible : il est nécessaire d'utiliser une nacelle treuillée depuis le haut d'une falaise. Cet écosystème laissé à lui-même, sauvegardé, intact et brut n'est qu'à 50 kilomètres de San Francisco et pourtant nous avons l'impression d'être au bout du monde, sans antenne téléphonique, sans internet, sans ligne de téléphone.

C'est donc un décor meurtrier, inhospitalier, dantesque et violent que plante là l'auteure américaine Abby Geni dont il s'agit du 1er roman. Peuplé seulement de phoques, d'éléphants de mer, littéralement envahis par les souris, et, certaines saisons, par les oiseaux, son littoral renferme requins et baleines. Seuls une poignée d'humains, des biologistes, ont le courage de réaliser sur ces îles de longues missions d'observation. Miranda, photographe animalière, vient rejoindre ces six scientifiques. L'accueil qui lui est fait, dans le logement de fortune qu'ils partagent tous, est aussi glacial que cette île.
Avec Miranda et ses différents appareils photos (qui tous on leur petit nom) nous allons découvrir une faune incroyable : nous allons toucher le museau d'un bébé éléphant de mer égaré, frémir à bord d'une petite embarcation sous laquelle passe une baleine qui peut, d'un simple coup de queue la faire chavirer, être terrifiés par la violence assassine des goélands, suffoquer avec l'attaque d'un phoque par des requins.

« le passage des saisons ne dépend pas de la météo, mais des animaux. L'hiver est là quand les baleines et les éléphants de mer donnent naissance à leurs petits. L'été est là quand les oiseaux nidifient. L'automne appartient aux requins ».

Cette faune riche est décrite avec la précision des biologistes et la poésie de la photographe : « La présence de ces animaux me perturbe. Ce ne sont ni des proies ni des prédateurs. Les baleines existent en dehors de la chaîne alimentaire. D'une certaine façon, elles existent hors de l'espace-temps habituel. Elles vivent dans un royaume où tout est grand et lent – marées, orages, champs magnétiques. Elles plongent souvent dans les profondeurs d'encre de l'océan, là où la lumière ne pénètre plus. Elles habitent un monde bleu, loin de la terre, passant de l'eau à l'air et vice versa, se faufilant entre lueur et obscurité ».

Abby Geni arrive à nous plonger dans ces paysages iodés où le vent est incessant, souvent enveloppés de brume mais parfois cernés d'un horizon infini : « J'ai regardé l'horizon. C'était une ligne claire entre deux bleus intenses, comme un pli sur une feuille de papier ».

J'ai aimé le personnage de Miranda, jeune femme écorchée qui va, dans ces conditions pourtant extrêmes, réussir à se trouver. J'ai aimé sa passion pour la photographie qui donne lieu à de multiples réflexions passionnantes sur cet art que j'aime également en amateur : « Pour l'instant, les pellicules sont à l'abri sous mon lit. Chaque semaine mon trésor grossit, comme l'or qu'accumule un dragon. Il y a des jours où l'attente m'est insupportable. Il paraît impensable que des mois entiers s'écoulent avant que je ne puisse voir mes images. À d'autres moments, à l'inverse, j'aime ressentir cet espoir, cette attente. Comme le foetus dans un utérus, mes photos plongées dans le noir sont en gestation. Je suis curieuse de voir ce qui va naître ».
Cette passion pour la photo lui permet d'observer les choses avec recul, et poésie aussi : « Ses yeux étaient si bleus. On aurait cru des fenêtres, comme si en les regardant je voyais le ciel derrière lui ». La correspondance qu'elle entretient avec sa mère décédée est très touchante et le livre est basée sur cette correspondance, ce sont ses lettres que nous lisons.

L'écriture est fluide et les chapitres courts ce qui rend la lecture particulièrement rythmée et haletante. de plus, la fin des chapitres apporte leur lot d'étrangeté, d'ouverture des possibles. C'est bien vu, chaque fin de chapitre interpelle. J'ai été happée par le côté étrange et onirique du récit, palpitant, tout en subtilité et en évocations étranges. J'ai aimé voir ce qu'il advient des humains sur cet île précisément inhumaine, animaux parmi les autres, pas plus forts ni plus intelligents. Et d'ailleurs il n'y a pas que la nature ici qui est dangereuse, notre héroïne en fera les frais. Nature et profondeur de l'âme humaine sont entrelacées par Abby Geni avec tact et brio apportant son lot de drames et d'accidents dont les humains vont être incapables de s'extraire. L'huis-clos va se refermer sur eux. C'est oppressant, j'en suis encore toute hébétée et hagarde comme à la sortie d'un rêve.

Un grand merci à @Agneslitdansonlit à qui je dois cette lecture coup de coeur !



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