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Critique de Eric75


A la fin du précédent album, nous avions laissé Mattéo, le déserteur de la guerre de 14, s'embarquer pour le bagne, condamné pour vingt ans après qu'il se soit volontairement rendu à la gendarmerie.

Nous le retrouvons dix-huit ans plus tard, dans cet album de transition à la tonalité très différente : nous sommes en août 1936, en plein Front Populaire. Les condamnés de 1918 ayant été amnistiés en 1929, Mattéo est désormais libre. Jean-Pierre Gibrat nous fait grâce d'un épisode sur Mattéo le bagnard, sans doute peu propice à la mise en place d'une intrigue compatible avec la volonté de décrire dans cette saga les grands conflits du XXe siècle. La période de bagne aura cependant laissé des traces profondes dans le caractère de Mattéo, devenu plus taciturne et plus cynique, plus indifférent également aux idées engagées de ses camarades.

Pour l'heure, l'ambiance est estivale et festive, le gouvernement de Léon Blum vient de promulguer les premiers congés payés (15 jours de repos légal !) ; c'est l'occasion pour Mattéo et ses amis, Paulin, Amélie, et Augustin, l'ami d'Amélie, de passer des vacances à Collioure, dans ce cadre idyllique qui servit de décor aux précédents albums et où Mattéo pourra retrouver sa mère et, peut-être aussi, la belle Juliette.

Cette parenthèse du Front Populaire, où « tout semblait possible » donne à l'album une tonalité résolument différente, aux couleurs ensoleillées et chatoyantes, une ambiance de détente et de liberté. Au programme : plage, balades en tandem, pique-niques, accordéons et bals musettes (le « sea, sex and sun » des années 30). On est donc bien loin de la noirceur des deux précédents albums, loin des obus qui pleuvent dans les tranchées et des balles perdues des révolutionnaires russes. Et si dans cet album les conflits ne sont pas résolument armés et meurtriers, ils vont se déchaîner dans les coeurs et les débats sur les engagements politiques du petit groupe d'amis.

Le son des canons se devine pourtant, en sourdine, de l'autre côté des Pyrénées. Les rebelles putschistes du général Franco viennent de prendre les armes et la guerre d'Espagne a commencé.

Que ce soit pour fuir un amour impossible et un bonheur factice, ou pour renouer avec un passé de militant et une tradition familiale assumée, la petite embarcation qui avait déjà servi à Mattéo pour prendre la fuite et passer la frontière va donc pouvoir resservir.

On l'a compris, cet opus marque une pause dans le parcours de Mattéo, entre les guerres du passé et celles encore à venir. Pour autant, quelques révélations sur va vie privée (assez faciles à deviner) et une ou deux scènes de bravoure relancent le récit au bon moment pour éviter au lecteur de se laisser gagner par la torpeur estivale.

Que dire de plus ? La magie de Gibrat opère encore dans cet album, et la recette du maître est désormais connue : un scénario bien écrit, capable d'alterner subitement la romance et le drame, des personnages attachants et sensibles, des sentiments à fleur de peau, des dialogues aux répliques ciselées, et, bien sûr, le dessin reconnaissable entre tous, exécuté à l'aquarelle, visant la perfection, que ce soit pour représenter la gestuelle des personnages, les paysages méditerranéens, les trognes des simples figurants, les éclairages de jour et de nuit, la transparence de l'eau et des robes légères (page 15).

Les esprits chagrins pourront relever un seul petit défaut au style Gibrat : ses personnages féminins, certes d'une beauté ravageuse, ont des visages parfois interchangeables et ne vieillissent pas. Les années passent, les femmes de Gibrat restent jeunes, belles, et ne prennent aucune ride. Sûrement parce qu'il les aime comme ça. Mais après tout, faudrait-il s'en plaindre ?

Après le Sursis et le Vol du corbeau, la série Mattéo confirme l'immense talent de Gibrat, tout à la fois scénariste, dessinateur et coloriste-aquarelliste, avec lui la bande dessinée devient incontestablement une véritable oeuvre d'art.
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