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Critique de Blok


Blok
31 décembre 2023
Je connaissais le journaliste FOG mais savais finalement fort peu de choses de l'écrivain, ayant lu fort peu de choses de lui, en occurrence son pamphlet animaliste L'animal est une personne, et son écoeurant (je dirais presque blasphématoire) roman Rien qu'une bête (j'ai ce travers : je lis fréquemment des livres portant sur des sujets que j'abomine ; manière de sortir de ma zone de confort et d'éviter le biais de confirmation, et possibilité de rédiger des chroniques où mon mauvais esprit peut se donner libre cours. J'avais donc sur l'auteur une opinion mitigée et profondément injuste ; stupide en outre car fondée sur une partie très mineure de son oeuvre.
Donc mea culpa : L'histoire intime de la Cinquième République est un chef d'oeuvre avec lequel Giesbert a fait oeuvre de mémorialiste et d'historien ; son livre est indispensable à qui veut connaître cette époque.
Le premier volume est consacrée naturellement au premier et au plus grand Président de la Cinquième République ;
Pour ceux qui comme moi sont à peu près ses contemporains, , l'ouvrage donne en outre. le plaisir de revivre ces années 1958 – 1969, celles de notre enfance et de notre adolescence.
Si Giesbert admire en gros le personnage, dans les détails il n'en déboulonne pas moins sur plusieurs points la statue du Commandeur et révèle beaucoup de choses sur sa personnalité privée ; sans qu'on puisse parler évidemment de dédoublement de la personnalité, Charles de Gaulle hébergeait en effet en lui ce qu'on pourrait appeler en « psychanalyse de cuisine » un surmoi, personnifié, qu'il appelait « le Général de Gaulle » et dont il parlait à la troisième personne, allant jusqu'à dire parfois qu'il aurait souhait faire telle chose, mais que « le Général de Gaulle » n'aurait pas accepté. Si la personnalité publique a joué un rôle capital et admirable dans l'histoire de notre pays, non toutefois sans une certaine hubris, la personnalité n'était pas exempte de petitesses et de haines recuites dont il poursuivait ceux qu'il pensait lui avoir manqué.
Et les deux personnalités devaient coexister avec un trait généralement ignoré de son caractère, la dépression intermittente dont il souffrait, à l'instar de son ami-ennemi Churchill ; peut-êre d'ailleurs fraudait-il parler plutôt de trouble bi-polaire, les épisodes dépressifs alternant aves d'autres où il débordait de confiance en soi, mais en gardant une totale maîtrise de lui-même, au cours desquels il accomplit de grandes choses. Ces épisodes de dépression le plongeaient dans un profond découragement, qui le mena à plusieurs reprises aux portes de la démission ; ainsi il envisagea de ne pas se représenter à la Présidence en 1965, de démissionner au lendemain de son ballotage au premier tour, et encore de démissionner après sa réélection ; il y pensa encore après les législatives à demi ratée de 1967, et faillit lâcher prise à plusieurs reprises pendant les évènements de 68, alternant envie de tout laisser tomber et velléités répressives ; à la fin du mois, il alla chercher refuge auprès du général Massu, commandant l'Armée d'Allemagne ; on ignore le détail exact de leurs conversations, mais Massu déclara dans ses Mémoires , jamais démenties sur ce point que c'est lui qui le décida à ne pas abandonner, lui garantissant si besoin était le concours de ses divisions blindées.
Enfin le référendum raté de 1969 fut une forme de démission déguisée.
Ce contexte rend peut-être plus admirable le courage, la volonté, la lucidité de cet homme, qui malgré tout réforma la France en profondeur sur les plans constitutionnels, juridiques, économique, a réindustrialisa à coup de planification incitative et de grands projets(sait-on encore que durant ces années, a France connut des taux de croissance annuels supérieurs à dix pour cent?)
Il mit également fin à la Guerre d'Algérie ; pour nécessaire qu'ait été l'indépendance de cette dernière, la fçon dont il s'y prit contient cependant une part d'ombre qui apparaît dans le livre ; son exposé est hélas convaincant, d'autant plus que Giesbert n'a jamais été à quelque titre que ce soit partisan de l'Algérie française, ni issu d'une famille qui l'ait été. Si la volonté de De Gaulle de mettre fin à la guerre dès avant son accession au pouvoir peut être portée à son crédit, il n'en est pas de même des assurances données à plusieurs reprises en sens contraire, de l'intensification de la guerre qui aboutit à une destruction quasi-totale de l'ennemi sur le terrain, pour ensuite traiter dans la précipitation avec le FLN, c'est-à-dire la pire et la plus sanguinaire composante de la rébellion, qu'on laissa au printemps 62, alors que l'amée française, toujours présente sur le terrain, avait l'ordre de rester l'arme au pied dans ses casernes, pratiquer en toute impunité sur les Européens qui n'embarquèrent pas assez vite en direction de la métropole,, et sur les Harkis à qui on refusa cette possibilité, des exactions analogues à celles perpétrées par le Hamas le 7 octobre, mais à une échelle des dizaines de fois plus grandes
Le fait est que,selon Giesbert, De Gaulle manquait totalemet d'empathie.
Il est cependant un point sur lequel Giesbert est gravement injuste envers lui, niant ainsi l'un des plus grands services que le Général ait rendu à la France : au détour d'un paragraphe, il présente comme une absurdité et une forfanterie l'affirmation de De Gaulle selon laquelle la France avait gagné la guerre.
Mais elle l'a bel et bien gagnée ; grâce à l'obstination de De Gaulle, elle a pu participer à la dernière phase des combats et y jouer un rôle non négligeable ; elle a été présente à la signature de l'armistice, a obtenu une zone d'occupation en Allemagne et un siège permanent au Conseil de Sécurité ; elle lui a aussi permis de regagner immédiatement son indépendance après la Guerre, en déjouant avec l'aide de Churchill, mais aussi de Staline) les projets de Roosevelt, qui avait prévu l'instauration en France de l'AMGOT (American Government for occupied territories) qui aurait « coiffé » un gouvernement Pétain maintenu. On pourrait encore le créditer d'avoir évité une possible guerre civile analogue à celle que connut la Grèce.
Cela, Giesbert, dont les sympathies pour les USA sont évidentes, ne le dit pas ; cela dépasse certes le cadre de ce livre, mais mérite d'être rappelé dès lors qu'est écorné le rôle historique de De Gaulle pendant la guerre.
A cette réserve près c'est un livre remarquble
Il y est question de beaucoup d'autres choses, et c'est, je l'ai dit, une mine d'informations sur la période.Ni hagiographie, ni portrait à charge il donne de l'homme et de la période une image finalement équilibrée et exempte autant que faire se peut de parti pris
Magnifique et indispensable.
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