Sugar & Spike

Ce tome contient une histoire complète, relativement indépendante de toute autre, car elle s'appuie sur une connaissance des principaux personnages de l'univers partagé DC. Il contient les 6 épisodes de 20 pages, initialement parus en 2016 dans l'anthologie Legends of Tomorrow (sans lien avec la série télévisée du même nom), écrits par Keith Giffen, dessinés et encrés par Bilquis Evely, avec une mise en couleurs d'Ivan Plascencia. Sugar et Spike sont des personnages qui ont été créés en 1956, par Sheldon Mayer, et publiés jusqu'en 1971. Les couvertures ont été réalisées par Aaron Lopestri, Liam Sharp, Kevin Nowlan, Francis Manapul, Chad Hardin, et Brett Booth.

Tous les superhéros qui ont un passé ont également des affaires dont ils sont moins fiers que d'autres. Quand ils souhaitent récupérer une preuve embêtante, ou mettre un point final à une histoire laissée à l'abandon, ces superhéros qui ont un squelette dans le placard peuvent faire appel à cette agence de détectives privés, spécialisés dans les enquêtes métahumaines. Elle se compose de Sugar Plumm et de Cecil Wilson (surnommé Spike), amis d'enfance, détectives privés sans superpouvoirs, ayant décidé de se spécialiser auprès des superhéros, pour des enquêtes discrètes.

Dans le premier épisode, ils sont engagés par Alfred Pennyworth pour récupérer des costumes de Batman un peu trop colorés. Puis ils sont chargés par Superman de récupérer une cache de kryptonite sur une île qu'il a créée à son image (= les contours de l'île dessinent la silhouette de Superman, et même son S sur la poitrine). Ils doivent ensuite retrouver le fiancé de Wonder Woman (celui qui n'était pas venu à la cérémonie de mariage), Itty l'extraterrestre qui aidait Green Lantern (Hal Jordan), neutraliser le Colonel Computron, accueillir les membres des Légions des SuperHéros. Heureusement que Sugar & Spike ont l'habitude de travailler ensemble.

Régulièrement les responsables éditoriaux de Marvel et DC ressortent du placard de vieux personnages pour conserver les droits de propriété intellectuelle sur les noms des personnages, ainsi que pour apporter un peu de variété dans leur ligne de comics. L'annonce du retour de Sugar & Spike (2 personnages quasiment pas publiés pendant 45 ans) n'a donc ému que les lecteurs qui avaient pu lire leurs gags réalisés par Sheldon Mayer, dans la réédition Sugar and Spike Archives Vol. 1. En effet, clause exceptionnelle, Mayer avait obtenu de DC que toute histoire consacrée à Sugar & Spike soit écrite par lui. Dans des interviews, Keith Giffen a expliqué que c'est à sa demande que la série s'appelle Sugar & Pike, mais qu'en aucune manière il ne souhaitait continuer dans la veine de Sheldon Mayer, conscient qu'il ne ferait jamais aussi bien. Il souhaitait disposer d'un duo qui dispose d'une forme de légitimité dans l'univers partagé DC (assez limitée puisqu'ils n'y sont jamais apparus) et qui ait une histoire commune (c'est-à-celle d'avoir été amis d'enfance). Dès le départ, il a également indiqué que la relation entre eux deux est de nature amicale, sans volonté qu'elle ne devienne de nature amoureuse

À la découverte des enquêtes pour lesquels Sugar & Spike sont contactés, le lecteur se dit que Keith Giffen a encore laissé libre cours à son imagination délirante. Mais en fait il s'agit pour lui de rendre hommage aux récits les plus saugrenus de la longue histoire de ces personnages. La dernière page de l'épisode 6 indique que la première enquête est la suite directe des costumes arc-en-ciel de Batman dans Detective comics 241 (publié en 1957). La deuxième fait suite à Action Comics 22 (1956), la troisième à Wonder Woman 155 (1965), la quatrième à Green Lantern 93 (1977), la cinquième à Flash 304 (1981) et la sixième à Adventure comics 247 (1948). Il n'est nul besoin d'avoir lu ces épisodes pour comprendre ceux de Sugar & Spike. Giffen se montre à la fois respectueux de l'héritage de la longue histoire de publication des comics DC, et très taquin vis-à-vis de ses lecteurs, en ressortant du placard des récits que la plupart souhaiterait voir oubliés pour cause de manque de sérieux. Grant Morrison s'était livré à la même facétie en rapatriant Bat-Mite et le costume chamarré dans ses épisodes de Batman.

Autre particularité, chaque épisode raconte une histoire complète en 1 seul épisode. Sugar & Spike reçoivent la commande du superhéros concerné (sauf dans l'épisode 5), mènent l'enquête sur le terrain, et aboutissent à une résolution permettant de clore l'affaire. Chaque enquête est différente et implique tour à tour un supercriminel de troisième zone, une opération immobilière, une tentative de chantage, un musée de gadgets de superhéros et supercriminels, une appropriation illégale d'arme cybernétique, et un imbroglio temporel d'une rare ampleur. Puisque Sugar & Spike évoluent dans les recoins de l'univers partagé DC, il y a toujours une part d'action quand ils en viennent à confronter un supercriminel ou un extraterrestre un peu teigneux. le scénariste réussit à chaque fois à maintenir le délicat équilibre entre ces pouvoirs extraordinaires et ces 2 opérateurs humains normaux, sans superpouvoirs.

La qualité du divertissement repose également beaucoup sur la personnalité du duo. En intégrant le fait qu'il s'agit d'amis d'enfance, le lecteur comprend que cette familiarité induit le fait que Spike supporte les réparties de Sugar, et qu'elle sait qu'elle peut compter sur lui. Spike joue plutôt le rôle du gars sympa aux goûts simples, de bonne composition, et facilement impressionné par les superhéros qu'il rencontre. Il dispose de jugeote, respecte immédiatement Superman et n'arrive pas à quitter des yeux Wonder Woman dont il est entièrement sous le charme (sans que Giffen n'aille jusqu'aux blagues graveleuses ou aux sous-entendus de mauvais goût). Par contraste, Sugar Plumm présente une personnalité abrasive et cassante. Elle va droit au but, coupe les individus qui se lancent dans de longues explications, soupire devant les bourdes des uns et des autres, n'hésite pas à hausser les sourcils devant les comportements des superhéros qui ont conduit à l'existence de ces affaires. du coup, chacune de ses questions tranchent le vif et fait ressortir la naïveté ou la bêtise de certains comportements, de certains interlocuteurs.

Keith Giffen combine des histoires complètes, avec une enquête en bonne et due forme dans l'univers partagé DC, et un humour adulte sarcastique. Sugar Plumm doit remettre à leur place des individus qui se disputent la palme de l'incompétence et de l'imposture, n'hésitant pas à tout discuter et à commenter sur tout. le scénariste ne se limite pas à ce registre humoristique. Il joue également sur le caractère de Sugar en la mettant face à Alfred Pennyworth, Spike faisant observer qu'il est impressionné, malgré son habitude de travailler avec Batman. Sugar désarme quelques opposants en jouant sur leur manque de professionnalisme, pour des moments d'une drôlerie irrésistible. Giffen est en pleine forme, à la fois pour les réparties percutantes, mais aussi pour les idées loufoques, avec un grand moment quand Sugar & Spike apprennent que Rebecca a été recrutée en répondant à une petite annonce dans un magazine de coupons de réduction. le lecteur n'est pas prêt d'oublier l'inefficacité grandissante de la Légion des SuperHéros, au fur et à mesure de l'arrivée de membres supplémentaires.

Le lecteur découvre avec plaisir les dessins de Bilquist Evely, jeune dessinatrice. Il a l'impression de retrouver l'ambiance d'un comics de Modesty Blaise : des dessins détaillés et descriptifs, avec des traits de contours fins et élégants. Sugar & Spike sont habillés de tenues vestimentaires normales. Ils en changent à chaque épisode, habillés en cohérence avec l'endroit où ils se trouvent, et avec la météo. Ils ont des morphologies normales. Les traits de Sugar sont très fins, avec un visage expressif, des moues qui permettent au lecteur de comprendre son état d'esprit (en particulier son exaspération), sans qu'elles ne soient exagérées. Par comparaison, le visage de Spike est plus apaisé et plus ouvert. Les superhéros sont représentés avec la même approche, dans des postures normales, car ils ne sont pas amenés à utiliser leur superpouvoir.

Le soin apporté aux décors permet un haut niveau d'immersion du lecteur. Il peut détailler les différents objets remisés sur les étagères de l'entrepôt du premier épisode. Il peut regarder travailler les engins de chantier du promoteur immobilier. Il promène son regard sur la décoration un peu vieillotte de l'ancien fiancé de Wonder Woman. Il cherche à identifier les différents artefacts en exposition dans le musée de Lee Carver (Lamplighter). Il découvre Cheeks the Toy Wonder (l'assistant de Ambush Bug) parmi les objets que Sugar Plumm emmène lors de son déménagement. Il observe les différents costumes des personnages de la Légion des SuperHéros. Evely réussit à marier harmonieusement un quotidien ordinaire, concret et tangible, avec les éléments fantastiques des superhéros, sans que ces derniers n'écrasent le quotidien, ou ne le rende trop terne.

En voyant apparaître ce recueil, le lecteur n'a aucune attente vis-à-vis des personnages, et peu d'a priori sur la nature du récit. Il s'avère que Keith Giffen est au meilleur de sa forme, à la fois pour des intrigues bien ficelées et originales, tout en rendant hommage à des histoires originales, avec un humour omniprésent et protéiforme. Bilquist Evely réalise des dessins descriptifs élégants, qui savent amalgamer les différentes composantes du récit, dans un tout harmonieux. Les 2 créateurs mettent en scène des personnages plein de caractère et très attachants, prouvant que les êtres humains peuvent encore avoir une place intéressante dans ce monde de superhéros et de supercriminels.