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Critique de SophieLesBasBleus


Journaliste au Spiegel, Patricia Sammer cherche à retrouver et à interroger des fugitifs ayant réussi à passer de l'Est à l'Ouest mais qui ont finalement choisi de retourner vivre à l'Est dans l'Allemagne des années 60. C'est du moins ainsi qu'elle présente son projet à Inge Oelze lorsqu'elle parvient à la rencontrer et à vaincre ses réticences. Lors d'un très lent apprivoisement mutuel, Inge finit par raconter son histoire. Mais la journaliste, personnage sombre et torturé, débusque d'autres souvenirs qui traversent les années teintées de rouge-sang et de noir-deuil par les actions terroristes. Encombrées de leurs secrets oppressants, les deux femmes se fascinent peu à peu, se livrent par fragments, s'affrontent, se mentent et construisent une relation étrange où chacune semble manipuler l'autre dans un énigmatique jeu de pouvoir.
Le récit d'Inge est alimenté par plusieurs fils narratifs qui font se rejoindre l'histoire collective de l'Allemagne et les histoires individuelles qu'elle transforme en destins. Cette solide architecture narrative, qui joue sur plusieurs époques, est mise au service de l'intrigue principale et reflète les violents soubresauts qui ont débouché sur la période contemporaine. C'est, pour moi, l'aspect le plus intéressant du roman de Maxime Gillio qui pointe des évènements encore souvent ignorés comme le déplacement forcé des populations sudètes après la guerre et les horreurs qui en ont découlé.
Si l'on soupçonne assez vite les véritables motivations de Patricia, son personnage n'en reste pas moins assez fascinant. Antipathique, instable, déchirée par une colère qui détermine ses actes et ses choix, elle est à l'image d'un pays qui, sous une apparence policée, ne parvient ni à pardonner ni à se pardonner. Coupable, victime, bourreau, témoin silencieux, Inge et Patricia endossent finalement tous les rôles attribués à leur pays et leurs histoires chaotiques conduisent à un déchaînement de chagrin et de colère, à la fois tragique et dérisoire.
C'est un roman à la lecture parfois éprouvante par la description de scènes d'une violence inouïe qui font émerger des images que nul ne doit plus ignorer désormais. Il m'a semblé m'enfoncer toujours plus avant dans la cruauté d'un monde où "tout le monde a ses raisons" et qui ne débouche que sur les ténèbres. Une âpreté et une complexité que l'écriture rend fort bien et qui refuse tout compromis. Victime ? Bourreau ? A chaque lecteur de décider... ou pas. C'est à la fois très inconfortable et particulièrement stimulant. Un roman qui m'a perturbée et qui va continuer à me tenailler.


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