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Critique de HordeDuContrevent


L'amour entre un homme et un oiseau sauvage…

« Les mots ma manquent pour dire tout ce que j'ai appris de cette pie. Elle m'a enseigné de nouvelles manières de voir, de nouvelles manières de m'occuper des autres – et les limites qu'il peut y avoir à le faire (…) Prendre soin des autres peut aller trop loin, devenir une captivité ».

Quelque part, dans une zone industrielle de Londres, entre hangars désaffectés et flaques d'essence, un oisillon tombe de son nid et se retrouve par terre, vulnérable. Charlie Gilmour, jeune homme au prestigieux nom de famille - son père adoptif n'étant autre que le guitariste des Pink Floyd, petite remarque soit dit en passant car cela est complètement anecdotique dans le livre- qui ne s'est jamais intéressé aux animaux, et encore moins aux animaux sauvages, commence pourtant à s'en occuper.
Il n'a aucune idée de comment s'y prendre avec cette pie sauf que lui revient à l'esprit que son père biologique, le déjanté et fantasque romancier et poète, « icône chevelue de l'underground radical des années 1960 », Heathcote Williams (je vous invite à aller voir sa bouille hirsute sur la toile), a partagé sa vie autrefois avec un choucas, un oiseau de la même famille que celle de la pie, la famille des corvidés ayant la réputation de porter malheur et dont l'âme hante de nombreux contes et légendes noires.


Mais parfois les malédictions peuvent être des bénédictions déguisées…


L'adoption de cette pie va-t-elle permettre à Charlie de se rapprocher de ce père avec qui ses relations sont si compliquées ? Pourquoi a-t-il disparu alors qu'il n'avait que quelques mois ? Qu'est-ce qui l'a poussé à partir ? Etait-ce pour mieux se consacrer à son art ou est-ce Charlie qui a fait fuir son père, étant un enfant pas assez intéressant ou bien pas assez intelligent ? La vie sauvage avec cette pie va-t-elle lui permettre de revisiter la notion de paternité ? de s'extraire enfin de sa petite enfance, de se détacher de l'attente, vaine, de l'amour nourricier qu'aurait dû lui apporter son père biologique ?


« J'attaque le corpus de mots et d'images comme un oiseau charognard, cherchant la plaie qui cédera à mon bec inquisiteur, la blessure originelle qui percera l'homme à jour. Je détache des couches de peau, je picore des os, j'approche du coeur du problème à petits coups de bec. Une biographie en patchwork semble émerger ; une ébauche d'histoire racontée par fragments excavés des poubelles ».


Élever ce bébé oiseau demandera de la patience, le nouvel occupant ayant des habitudes pour le moins déstabilisantes. Benzène, comme tous les oiseaux charognards, cache des morceaux de viande dans chaque recoin de la maison, même entre les pages des livres, voire dans les cheveux de Charlie, emmêlés déjà par les fientes de l'oiseau ; son énergie est inépuisable et son goût pour la destruction illimité. Ses repas sont peu ragoutants et rien ne résiste aux coups de bec. Pourtant, Benzène est un animal terriblement attachant et Charlie Gilmour raconte cette relation forte avec pudeur, tendresse, sincérité. Sous sa plume, l'oiseau étincelle, avec « ses yeux brun rivière au soleil, le chatoiement pétrochimique de ses plumes, des bandes fluctuantes de vert, de doré, de violet et de bleu qui en font un oiseau différent selon les angles ».


Élever ce bébé oiseau sera surtout un catalyseur. Elle lui permettra de s'affranchir de son propre père, d'accepter les failles de celui-ci et de ne pas s'en sentir responsable. de prendre enfin son propre envol.
Tel est l'objet de ce récit autobiographique, véritable roman d'apprentissage passionnant et surprenant. Comme la pie, nous assistons à la mue du jeune homme, les plumes noires tombent et sont remplacées par des plumes lumineuses, il se débarrasse ainsi de son passé devenu encombrant, obsolète. Comme la pie, Charlie se régénère à son contact et comprend une chose importante : « on ne devient pas forcément celui qu'était son géniteur. L'acquis l'emporte sur l'inné. Il le faut ».


Le style de Charlie Gilmour m'a totalement conquise. La métaphore de l'oiseau est omniprésente, les descriptions de paysage sont renversantes de poésie, l'humour apporte une belle touche de légèreté. Je me suis plongée dans ces lignes comme si je lisais en position foetale à l'intérieur d'un nid douillet. Confortably numb…

« Devant la fenêtre de la cuisine, une petite araignée pâle danse en funambule dans un rayon de lumière matinale. Avec ses pattes délicates suspendues élégamment dans l'air, elle ressemble à un idéogramme chinois à huit pointes tournoyant sur un fil luisant. Aidée par des poulies invisibles, elle se hisse avec grâce vers une branche couverte de lichen où, hors de vue pour l'instant, la pie attend. Benzène se tient immobile comme un serpent tandis que l'araignée pirouette à sa portée puis, d'un bref clap d'applaudissement, elle met un terme à la danse, écrasant le thorax et broyant les pattes de l'araignée ».



Premières plumes est un magnifique premier roman sur la transmission et la paternité, sur l'affranchissement des blessures familiales, sur la résilience et la reconstruction, sur ce que peut nous apprendre le monde sauvage pour retrouver une version de soi, version libérée, intime et accomplie. Il m'a fait écho, m'a procuré beaucoup de bonheur. J'espère sincèrement que Charlie Gilmour écrira d'autres livres aussi surprenants et beaux que pouvait être surprenante et belle la musique de son père adoptif. J'attends ses prochains romans déjà avec impatience !




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