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Critique de Zablo


Une expérience bigarrée.

Au départ, la BD porte le nom de son personnage principal, John Difool. Il s'agit d'un anti-héros, détective de « classe R » fainéant, pleutre et incompétent, à qui les « rob-fliks » reconnaissent tout de même la qualité d'être « un bon informateur ».

Évoluant dans un univers « cyber-punk », il est accablé par les ennuis et ce n'est que le début... Car, en récupérant une petite pyramide lumineuse, l'Incal, il devient la cible de la pègre de « Suicide-Allée », puis d'une quantité infinie d'adversaires.

Or, cet éclopé de John Difool n'est pas tout à fait seul. Deepo, sa « mouette à béton », lui tient compagnie voir lui sert de psychanalyste... Et il rencontre d'autres personnages : le Méta-baron, Tête-de-Chien, Animah... qui feront pour certains l'objet de séries dérivées...

Force est de constater que l'Incal est une BD d'exception, que ce soit par son esthétisme ou son scénario. Elle est apparue à une époque où la BD se métamorphosait, sous l'influence de la contre-culture, des auteurs de la revue Métal Hurlant (1975-1987), dont Moebius fait partie, mais aussi des volutes de fumée et autres champignons hallucinogènes...

Conçue par Jean Giraud et Alejandro Jodorowsky, après l'échec de leur adaptation du film Dune, elle démontre leur résilience, dont le travail a finalement eu une influence considérable (notamment sur les films de SF). Pour ne donner qu'un seul exemple, un peu dérisoire, le nom de Difool a été repris par un célèbre présentateur de radio français...

Pour ce nouvel ouvrage, Gir, l'ardent dessinateur de Blueberry, troque le pinceau pour la plume et se transforme en Moebius. Il est chaperonné par Jodo, cinéaste surréaliste, adepte du tarot et inventeur de la « psychomagie »... L'un a été marqué par l'absence de père, l'autre par la violence de son géniteur. Tous les deux vont se défoncer pour cet ouvrage.

Enfant, j'avais été frappé par la modernité et la puissance de ce livre : univers en renouvellement permanent, images psychédéliques, humour caustique... Moins barbant qu'une cathédrale et plus savoureux que les jardins de l'Alhambra.

Adolescent, j'ai apprécié son ton irrévérencieux, sa satyre : contre la société du spectacle, le libéralisme économique, le matérialisme, l'entre-soi des élites... Voilà aussi un livre que l'on ne me forçait pas à lire.

Puis, j'ai essayé de comprendre ses métaphores, ses symboles (notamment les chiffres, les allusions à l'alchimie, les couleurs, les formes...), le message que voulait faire passer Jodorowsky.

Je dois avouer, qu'au détour de mes lectures répétées de l'Incal, j'ai aussi pu lui trouver un aspect un peu ridicule, avec quelques facilités dans le dessin ou les dialogues.

D'ailleurs, rien à voir, mais il y a cette vidéo des Inconnus sur la peinture qui ne cesse de parasiter mon esprit... « il n'était pas peintre, il était juste une sorte de fou, un peu mystique qui, qui se foutait de la gueule du monde, comme moi, mais avec oune sorte de crédibilité ».

Certes, dans l'Incal il y a quelques bémols et des petits couacs. Pourtant, je ne pense pas que les auteurs se moquent de nous.

Au contraire, j'admire la dimension métaphysique de cette BD, si rare maintenant, à l'heure de la BD du réelle. Jodo et Moebius ont pu laisser libre cours à leurs envies, la maîtrise graphique de l'un permettant à l'autre de faire parler son inconscient.

Et que dire de l'énergie spirituelle de cette oeuvre : elle n'est pas chrétienne, ni juive ou même musulmane, bouddhiste ou chamaniste... elle est tout à la fois, syncrétique.

J'aime aussi ses couleurs vives, à la gouache, caractéristiques d'une époque où l'image primait sur le texte. Les lignes, les figures géométriques, mais aussi la fulgurance et la pureté du trait de Moebius, sont d'une beauté quasi divine. Il y a une mise en scène radicale, des scènes d'envol et de chute, des décors impossibles, des surprises de taille, de l'éclectisme...

Je ne suis pas sûr que je revivrai la même chose en relisant cette BD dans 20 ou 30 ans...

Mais, ce qui est certain, c'est que je garderai de l'affection pour ces planches.
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