Les mots entre mes mains

Dessine- moi une rose, dessine-moi une tige, dessine-moi un flocon de neige que tu as pris dans le ciel et je t’apporterai une chandelle, mon amour. Je t’apporterai mes baisers dans la nuit.

Ces premiers mots- sur mon avant-bras, de l'intérieur du coude jusqu'au poignet- sont ceux qui chatouillent le plus. Quand il n'y a plus de place, je relève ma jupe et je continue au-dessus de mon genou, sur ma cuisse.
J'écris, j'écris tout le temps.

Si je n'y prends garde, il va m'étudier, dresser la liste de mes différents éléments, m'épingler à une feuille, m'ouvrir pour examiner l'intérieur, écrire dans la marge imparfaitement comprise, tirer un trait dessus et fermer le livre.

Une fois qu'elle est partie avec la lettre, je glisse un petit morceau de papier dans la poche du kraamkloppertje et je l'attache autour du marteau en le nouant bien serré pour qu'il ne s'envole pas. J'espère que ma mère aurait fait la même chose et que ses doigts, que l'émotion aurait rendus malhabiles, auraient aussi tâtonné en faisant le nœud. Je relève le heurtoir doucement et le fait retomber sur le tissu qui étouffe le son.
Maintenant, tout le monde saura : une petite fille vient de voir le jour dans cette maison - frappez doucement pour ne pas la réveiller.

Sur le chemin du retour, je me remémore ce que j'ai dit. Les mots changent tout, même ce que je pense. (Helena)

Nous passons devant le marché aux pois­sons et l’église Pieters­kerk ; un homme a été mis au pilori, pieds nus et sans manteau, avec à côté de lui un écri­teau où l’on peut lire : FORNICATEUR.

Et toi, mon amour, où es-tu, mon bien-aimé ? Laisse-moi te dessiner, dessiner nos journées et j'en ferai un livre.

Il vient dans la cuisine chaque fois qu'il lui en prend l'envie, les bras encombrés de documents.Jamais le matin, parfois tard le soir.Je dois tout arrêter, l'écouter attentivement, écrire. Je ne peux demander son consentement à M. Sergeant: il est toujours à Utrecht.
Il positionne la plume entre mes doigts. 《 Centre -la bien, de cette façon. Oui, ainsi,》 Il est déterminé.
《 Voilà. 》 Il la fait pivoter à nouveau.Au bout d'une semaine, il déclare: 《 Tu as fait des progrès. 》 Je grimace.《 Tu n'es pas de cet avis?》 Il se tape sur les cuisses.《 Quel regard! Tu n'as rien à dire? Parle,
Helena! Tu n'as pas besoin de permission.J'aime t'entendre.》

Amsterdam, 1634.
LIVRES
De lui, je ne perçois que des détails- les larges rubans de ses souliers, la courbure de ses épaules, ses
cils noirs.J'ai remarqué qu'il a des doigts tachés d'encre, des mains délicates d'écrivain, à la peau claire et plus fines que les miennes, que je voudrais cacher tellement elles sont calleuses.

"Qu'est-ce qu'un livre ? Les élucubrations de mon cerveau. des mots, écrits à la plume avant d'être imprimés. Des pages, assemblées et reliées ; diffusées par M. Sergeant et ses confrères. Lorsqu'il paraît, un livre est une chose incroyable, Helena, incroyable - il a de la force, des conséquences. Il peut remettre en cause d'anciens dogmes, désarçonner les prêtres les plus convaincus, mettre à bas des systèmes de pensée. Vlan ! Il peut, il doit, surprendre."